Hasdrubal, les bûchers de Mégara
n’avons
malheureusement pas d’autre choix. Il y va du salut de notre cité à l’heure où
l’ennemi s’est emparé d’une partie de nos positions, semant le désarroi chez
les habitants de cette ville. Cela vaut bien que nous fassions taire nos
scrupules.
— Si
tel est le prix à payer pour obtenir ce résultat, je puis t’assurer que nous
sommes tous résolus à faire le sacrifice de notre honneur et à nous exposer au
risque d’être traités de parjures. Puisse la bienfaisante Tanit nous pardonner
nos actes à venir puisqu’ils n’ont d’autre motivation que d’éviter que son
sanctuaire ne soit profané par des mains étrangères.
— Tu
as sagement parlé, Magon. Fais en sorte que les crieurs publics, lorsqu’ils
convoqueront le peuple, soient entendus des avant-postes romains. Je veux que
nos ennemis voient de leurs propres yeux le sort que nous réservons à ceux qui
osent envisager de rayer de la carte la cité d’Elissa.
Le
lendemain matin, les prisonniers furent extraits de leurs cachots. Leurs
gardiens ne s’étaient pas fait faute de les avertir du sort qui les attendait et
je dois dire qu’aucun d’entre eux ne chercha à implorer la clémence de ses
bourreaux en leur rappelant les promesses qui leur avaient été faites. Quand
ils parurent à l’air libre, ils eurent certes un mouvement de recul. Depuis des
mois, ils croupissaient dans l’obscurité et la lumière crue du soleil les
aveugla un court instant. Ils ne tardèrent point à se ressaisir et marchèrent
fièrement au supplice, se tenant par le bras et s’encourageant mutuellement à
ne pas faiblir, adjurant leurs dieux d’être témoins de leur vaillance qui
rachèterait leur faute d’hier.
Sur leur
passage, la foule s’était massée, à la fois hostile et moqueuse. Dans ses
rangs, nombreux étaient ceux dont des parents ou des amis étaient tombés aux
mains de l’ennemi lors de la prise de Mégara. Les yeux révulsés de fureur, les
Carthaginois insultèrent les malheureux Romains, leur jetant au visage pierres
et immondices. À plusieurs reprises, la garde dut même intervenir pour empêcher
qu’ils ne les mettent en pièces.
Les
trompettes retentirent quand ils gravirent l’escalier menant au chemin de
ronde. C’était le signal convenu pour que les défenseurs cessent dès lors tout
combat avec les assaillants. Ceux-ci purent donc s’approcher assez près de nos
remparts pour contempler le supplice de leurs compatriotes. Les plus chanceux,
en fait les plus mal en point du fait des coups qu’ils avaient reçus durant
leur marche à travers les rues de la ville, furent égorgés par les prêtres du
temple de Baal Eshmoun, revêtus de leurs robes d’apparat. Les autres furent
longuement torturés sous les acclamations de la foule ivre de sang et de
colère. Aux uns, je fis soit arracher avec des outils de fer les yeux, la
langue, les tendons et les organes sexuels, soit couper les membres l’un après
l’autre. Encouragés par les cris des spectateurs, les bourreaux s’acharnèrent
férocement sur leurs victimes dont les hurlements de douleur avaient de quoi
faire frémir les plus endurcis d’entre nous.
A trois
reprises, Scipion Aemilianus envoya des parlementaires chargés de me proposer
d’échanger les captifs survivants contre les civils qu’il avait fait
prisonniers lors de son entrée dans Mégara. Chaque fois, je lui fis savoir
qu’en dépit de mon sincère désir de lui être agréable je ne pouvais lui donner
satisfaction. Je prétendis que les Carthaginois, qui m’avaient poussé à ces
coupables extrémités, préféreraient tuer les prisonniers et leurs gardiens
plutôt que de voir leurs parents recouvrer la liberté. Je ne sais s’il fut dupe
de ma réponse mais il n’insista pas. Peut-être lui aussi avait-il appris que
ces soldats étaient des traîtres et non des combattants contraints de déposer
leurs armes après avoir résisté jusqu’au bout. Quand le dernier de ces
malheureux expira, j’ordonnai qu’on jette leurs cadavres par-dessus la muraille
et qu’on tire sur quiconque s’approcherait d’eux afin de leur procurer une
sépulture décente. Pendant plusieurs jours, leurs corps en décomposition se
desséchèrent au soleil, dégageant une odeur pestilentielle. Un matin, l’on me
prévint qu’ils avaient disparu. Profitant de la nuit, des légionnaires avaient
bravé la mort pour soustraire aux oiseaux de proie les restes de leurs
compagnons. A leur place,
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