Hasdrubal, les bûchers de Mégara
fichée sur un pieu, se trouvait la tête d’Ophir, un
sénateur fait prisonnier il y a plusieurs années de cela et qui appartenait au
parti d’Hannon le Rab, c’est-à-dire à celui favorable à la paix. C’était la
réponse de Publius Cornélius Scipion Aemilianus à l’exécution des prisonniers
et elle montrait clairement dans quel état d’esprit se trouvait le consul. J’avais
atteint mon but. Désormais, une guerre à mort était engagée entre nous et nul
Carthaginois ne pourrait se prévaloir de ses anciennes amitiés pour échapper au
sort réservé par les Fils de la Louve aux assiégés si leurs dieux leur
donnaient la victoire.
***
En
s’emparant de Mégara, les Romains avaient considérablement réduit notre
périmètre de défense et nous avaient privés d’une source appréciable de
ravitaillement. Ce faubourg, à moitié rural, était le grenier de Carthage en ce
sens qu’il approvisionnait notre cité en fruits et en légumes frais, améliorant
substantiellement l’ordinaire de nos compatriotes. De surcroît, des milliers de
têtes de bétail y paissaient en toute tranquillité. Nous avions pu les faire
entrer à l’intérieur de la seconde enceinte et les installer dans les étables
et les écuries à moitié vides des casernes. Toutefois, nous manquions
cruellement de fourrage pour les nourrir et je dus dépêcher en toute hâte à
Aspis et à Hippo Dhiarrytus des messagers, suppliant ces deux villes de nous
faire parvenir les quantités nécessaires de cette précieuse denrée faute de
quoi nous serions dans l’obligation d’abattre tout notre cheptel. En bons et
loyaux alliés, ces cités sœurs accédèrent à notre requête tout en nous
prévenant qu’il leur serait difficile de nous faire parvenir avant plusieurs
mois d’autres convois.
Or c’était
d’elles que dépendait désormais notre salut car nos communications terrestres
avec l’arrière-pays furent brusquement coupées. Expert en l’art de la
poliorcétique, Scipion Aemilianus ne croyait pas à l’utilité des batailles en
rase campagne qui se soldaient rarement par l’écrasement complet de
l’adversaire. Pour lui, la pioche et la pelle étaient des armes aussi
précieuses et efficaces que le glaive et la lance. Aussi transforma-t-il ses
légionnaires en terrassiers, aidés par les milliers de captifs à sa
disposition. Bientôt, nos sentinelles en faction sur le chemin de ronde purent
observer ses hommes creusant, jour et nuit, un fossé d’une longueur de
vingt-cinq stades [13] ,
allant de la nécropole de Mégara au lac de Tunès. Quand il eut achevé ce
premier fossé, il en fit construire un second du côté des terres et leur
adjoignit deux autres coupant à angle droit les précédents. Tous furent équipés
de pieux pointus et protégés par des palissades hautes d’une dizaine de pieds [14] . Enfin, il compléta ce
dispositif en érigeant, le long de la principale tranchée, située à une
distance d’un trait de notre enceinte, une muraille haute de douze pieds [15] , flanquée à intervalles
réguliers de tours et de bastides d’où ses hommes pouvaient apercevoir tout ce
qui se passait dans notre ville.
Afin
d’éviter que nous n’incendions cette formidable barrière, il utilisa comme
matériau les pierres arrachées aux fortifications et aux maisons de Mégara que
des milliers de prisonniers, sous la surveillance de contremaîtres n’hésitant
pas à se servir du fouet pour stimuler le zèle de leurs ouvriers, acheminèrent
jusqu’aux avant-postes romains. Ces travaux durèrent vingt jours et vingt nuits
d’affilée et les multiples sorties que j’effectuai avec une partie de la
garnison furent toutes repoussées au prix de lourdes pertes dans nos rangs.
Désormais, notre seule voie de communication avec l’extérieur était la mer et
je pris soin de faire sortir du cothôn notre flotte militaire afin qu’elle
interdise l’approche des côtes aux navires ennemis.
Les
travaux entrepris par le consul furent achevés au début de la mauvaise saison
qui marquait traditionnellement l’arrêt des opérations militaires de grande
envergure. Un matin, je reçus l’ordre de me présenter devant le Conseil des
Cent Quatre qui souhaitait m’interroger sur la situation. Je m’y rendis en
compagnie des officiers de mon état-major et je fus surpris de l’accueil que
les sénateurs nous réservèrent. Jusqu’à présent, ils n’avaient jamais songé à
interférer dans la
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