Hasdrubal, les bûchers de Mégara
victimes du régime de terreur que je
faisais régner dans notre ville et que tout refus de leur part leur aurait valu
de connaître le sort lamentable d’Hasdrubal l’étourneau. En se livrant à cet
acte déshonorant, ils signeraient, sans le savoir, leur perte. Je connaissais
en effet assez bien le caractère du jeune consul pour savoir que leur démarche
provoquerait chez lui la colère et le mépris. Il leur tiendrait plus rigueur de
leur lâcheté que de ma cruauté envers ses compatriotes.
Dès que le
Conseil des Cent Quatre me communiqua sa décision, je réunis tous mes officiers
afin de mettre au point avec eux l’organisation de cette macabre cérémonie.
J’eus la surprise de constater que certains d’entre eux se montraient
hésitants, à commencer par Magon, mon fidèle aide de camp. Celui-ci, qui
jusqu’ici n’avait jamais discuté un seul de mes ordres, m’apostropha :
— Hasdrubal,
ce que tu exiges de nous est contraire aux lois de la guerre. Sache en effet
qu’on t’a caché la vérité sur ces prisonniers. Tu crois sans doute qu’ils ont
été capturés après avoir longuement et vaillamment combattu. C’est ce que t’ont
affirmé certains. En fait, il n’en est rien. Ces hommes occupaient un bastion
isolé près du lac de Tunès qui gênait considérablement les communications entre
Carthage et ton camp de Nepheris. Approchés par nos espions, ils ont accepté de
se rendre à condition d’avoir la vie sauve. Je n’ai pas de pitié particulière
pour eux car je hais tout autant que toi les Fils de la Louve et encore plus
les traîtres, quelle que soit l’armée à laquelle ils appartiennent. Leur
existence m’importe peu. Par contre, j’ai mon honneur d’officier. Or ce que tu
nous demandes revient à nous rendre coupables de parjure. C’est une insulte à
notre dignité et je te supplie de revenir sur ta décision dont nous aurions à
rougir toute notre vie, ne serait-ce que par égard envers nous.
— Magon,
je dois t’avouer que j’ignorais tout de cette affaire et je ferais en sorte que
ceux qui m’ont induit en erreur soient châtiés. Toutefois, cela ne change rien
à ce que j’ai ordonné, bien au contraire. Tu l’as dit, ces misérables sont des
déserteurs qui, s’ils recouvraient la liberté, seraient mis à mort par leurs
propres généraux. Ceux-ci ne pourront donc te tenir grief d’avoir infligé à ces
captifs le juste châtiment de leur faute. De surcroît, la décision de les
laisser en vie a été prise par mon prédécesseur, Hasdrubal l’étourneau, qui
était un traître au service de l’ennemi. Ses actes sont donc sans valeur et ne
peuvent t’engager d’autant plus qu’à l’époque, tu ne te trouvais pas à Carthage
mais à Nepheris, avec moi.
— Tu
sais très bien que ce n’est pas le cas des autres officiers ici présents dont
l’honneur n’est pas rien pour moi.
— Est-ce
avoir de l’honneur que d’obéir aux ordres d’un félon ? Ce qu’il a décrété,
je suis en droit, j’ai même l’obligation, de le défaire. Je veux que les choses
soient bien claires entre nous : quiconque se refusera à mettre à
exécution la sentence décrétée par le Conseil des Cent Quatre, c’est-à-dire la
plus haute instance de notre ville, sera considéré comme complice d’Hasdrubal
l’étourneau et connaîtra le même sort. Il est temps, grand temps, que l’on
sache que je suis le seul commandant en chef de notre armée et que Carthage est
prête à tout pour triompher de ceux qui recherchent sa ruine.
— Dans
ces conditions, qu’il en soit fait comme tu le désires ! Qu’attends-tu de
nous ?
— Que
les crieurs publics annoncent dans toute la ville que les captifs seront
exécutés demain matin et que du vin et du blé seront distribués à l’issue de
l’exécution à tous les présents.
— Hasdrubal,
tes derniers mots m’ouvrent les yeux sur le but que tu vises. Je dois t’avouer
qu’il me séduit autant qu’il m’effraie.
— Et
quel est-il, selon toi, Magon ?
— Tu
as décidé de faire périr ces malheureux afin que le nom de Carthage soit à
jamais maudit par les Fils de la Louve et que ceux-ci, désireux de venger les
leurs, refusent désormais de traiter avec leurs assassins.
— Tu
as vu juste : ce que nous allons accomplir n’a de sens que si le plus
grand nombre de nos concitoyens se rendent, par le simple fait d’y assister,
coupables au même titre que nous de cette abomination. Nous
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