Hasdrubal, les bûchers de Mégara
encore
jeunes, très jeunes, et ne méritent pas de mourir. En acceptant de te livrer au
consul, tu peux espérer que celui-ci les épargnera et les traitera conformément
à leur rang. Je le sais capable de tels actes de générosité. Après tout, son
ami Polybe appartenait lui aussi à une famille qui a longtemps combattu Rome.
Cela ne l’empêche pas d’être maintenant son confident. Par leur mère, tes
enfants descendent du glorieux Hamilcar. La lignée des Barcides, qui a fait la
gloire de la cité d’Elissa, ne peut s’éteindre. Qui sait ? Ton fils,
demain, pourrait reprendre le flambeau de ses ancêtres et reconstruire, là où
il trouvera asile, une ville qu’il nommera Carthage et où les survivants de
notre peuple viendront se réfugier.
— Laisse-moi
quelques jours pour réfléchir à ta suggestion. Je te ferai connaître ma réponse
sous peu. Toutefois, sache que je ne me contenterai pas de plaider uniquement
en faveur des miens, mais que je demanderai au consul d’accorder son pardon aux
transfuges numides. Se désintéresser de leur sort serait criminel et je suis
loin de partager tes sentiments à leur égard. Eux n’ont pas démérité,
contrairement à Gulussa et à ses frères.
Je dois
l’avouer, je n’eus pas la force d’âme de confier à mon épouse Himilké ce que
m’avait dit Arishat. Mais les heures que je pus passer avec mes enfants me
jetèrent dans un trouble profond. Insensibles à ce qui se passait autour d’eux,
ils jouaient dans l’enceinte du sanctuaire et me couvraient de baisers dès lors
que je paraissais. En les contemplant, je compris qu’il me serait intolérable
de voir un glaive romain leur trancher la gorge. J’étais leur père et je devais
tout faire pour les sauver même si je devais passer pour un traître aux yeux de
certains. Je fis donc savoir à ma maîtresse que j’avais décidé de suivre ses
conseils et que nous nous rendrions aux Romains dès que l’occasion s’en
présenterait.
Une nuit
sans lune, alors qu’une épaisse obscurité recouvrait nos retranchements, je fis
servir du vin aux gardes de faction à l’entrée du sanctuaire. Ils ne tardèrent
pas à s’enivrer et à s’assoupir. Avec Arishat et mon aide de camp Magon, que
j’avais mis dans le secret, j’en profitai pour me faufiler en dehors de
l’enceinte. Progressant difficilement, nous fumes arrêtés par une patrouille
romaine. M’étant fait reconnaître du centurion qui la commandait, je demandai à
être conduit sur-le-champ auprès de leur chef. L’officier obtempéra, sachant
que son geste lui vaudrait une généreuse récompense. Publius Cornélius Scipion
Aemilianus me reçut sous sa tente, entouré de Polybe et de Laelius. Après
m’avoir offert une coupe de vin de Sicile que je bus d’un trait, il me dit d’un
ton suave :
— Hasdrubal,
te voilà enfin ! Je dois te l’avouer, je savais que, tôt ou tard, tu
viendrais te rendre car c’est bien de cela qu’il s’agit cette fois.
— Je
me suis souvenu de la promesse que tu m’avais faite jadis de m’accorder la vie
sauve, à moi, aux membres de ma famille et aux officiers de mon état-major si
nous acceptions de déposer nos armes. À l’époque, j’avais refusé car je pensais
disposer de forces suffisantes pour pouvoir continuer la lutte. Aujourd’hui, ma
ville a cessé d’exister et les quelques centaines d’hommes enfermés avec moi
dans le temple d’Eshmoun ne pourront rien y changer. Je suis venu ici de mon
plein gré, avec ma compagne, Arishat, que tu connais, et mon aide de camp,
Magon, un brave qui a donné bien du fil à retordre à tes officiers. Fais de moi
ce que tu veux. La mort ne me fait pas peur et, plus d’une fois, elle m’a
ouvert ses bras lors de cette longue guerre. Je ne demande rien pour moi mais
je te supplie de laisser la vie sauve à mes enfants. Si tu me l’accordes, Magon
ira les chercher pour les conduire jusqu’à ton camp. Je suis sûr que tu sauras
prendre soin d’eux et que tu leur éviteras d’avoir à connaître la servitude. Tu
y as tout intérêt car chacun louera ta générosité et ta grandeur d’âme. Elles
feront plus pour ta renommée que la gloire dont tu t’es couvert en réalisant le
vieux rêve de Marcus Porcius Caton. Je te demande aussi d’intercéder auprès de
Gulussa en faveur de Bithya et de ses hommes. Leur chef est un soldat valeureux
et il n’a rejoint nos rangs qu’après avoir été injustement traité par le fils
de
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