Hasdrubal, les bûchers de Mégara
nous faut maintenant renvoyer notre
main-d’œuvre. Nous disposons d’assez d’argent pour leur verser les sommes
promises. Néanmoins, cette idée m’inquiète plus qu’elle ne me réjouit. Certes,
ces hommes nous ont donné satisfaction mais ils détiennent un trop lourd
secret. Trop de gens sont au courant de ce qui s’est passé et je redoute que
certains ne soient un jour tentés de nous trahir en livrant à nos ennemis
l’emplacement de nos entrepôts. Comme tu le sais, de nombreux Numides vivent
dans la cité d’Elissa et certains d’entre eux sont des espions à la solde de
Masinissa. Ils sont riches et l’argent permet de délier bien des langues.
— Je
suis heureux que tu évoques cette question qui me préoccupe aussi. J’ai écrit à
mon père à ce sujet et il m’a assuré que nous n’avions aucune inquiétude à nous
faire. Sous peu, quand ces malheureux reviendront dans leurs foyers, une
mauvaise surprise les attendra. Tu l’ignores peut-être mais ils prennent leur
repas de midi dans les arsenaux situés à proximité du port militaire. Un poison
foudroyant sera mélangé à leur nourriture et aucun n’en réchappera. Bien
entendu, une enquête sera ouverte et le Conseil des Cent Quatre attribuera
cette tragédie à un complot ourdi par quelques criminels de droit commun qui
seront jugés et passeront aux aveux moyennant la promesse que nous leur ferons
de faciliter leur évasion. Quant aux familles des victimes, elles recevront un
dédommagement substantiel qui atténuera leur chagrin.
— C’est
peut-être la seule solution raisonnable mais je dois t’avouer qu’elle me glace
d’horreur. Ces pauvres hères ont travaillé dur et c’est bien mal les
récompenser que d’agir de la sorte envers eux. Je redoute qu’un jour les dieux
ne nous fassent expier durement ce forfait.
— Ni
toi ni moi ne sommes responsables de la décision prise par les plus hautes
autorités de la cité d’Elissa. Nul ne pourra faire retomber sur nous la
responsabilité de ce crime qui n’en est pas un. En d’autres circonstances,
Carthage a usé de moyens infiniment plus cruels pour obtenir la victoire et je
ne sache pas que Baal Hammon et Tanit en aient été irrités. Tes scrupules
t’honorent mais je te conseille d’oublier cette conversation.
***
De fait,
quelques semaines après le retour des travailleurs dans les arsenaux du port
militaire, un messager envoyé par Mutumbaal m’apprit qu’ils avaient succombé à
un empoisonnement dont les responsables furent appréhendés et condamnés à périr
sur la croix. J’avoue n’avoir porté aucun intérêt à leur sort et, encore
aujourd’hui, j’ignore si ces faux coupables furent soustraits, ainsi que
convenu, au bourreau. Les événements en effet venaient de prendre une tournure
gravissime. Une rixe entre bergers numides et colons carthaginois s’était
soldée par la mort de dix sujets de Masinissa. Pour être honnête, je ne suis
pas sûr que mes compatriotes n’aient pas été les véritables responsables de ces
incidents. Ces nouveaux colons avaient entrepris de défricher et de borner des
terres où les Numides, depuis des temps immémoriaux, avaient pris l’habitude de
faire paître leurs troupeaux. Les dégâts occasionnés par ceux-ci aux cultures
avaient poussé nos paysans à monter une opération de représailles et l’affaire
avait dégénéré. Prenant prétexte de cette tragédie, Gulussa, l’un des fils du
vieux souverain, envahit le nord de la province des Grandes Plaines ainsi que
la province de Tysca, incendiant les fermes et chassant leurs occupants qui
vinrent se réfugier à l’abri des murailles d’Oroscopa.
Avec
Bodeshmoun, notre première réaction fut de fermer les portes de la cité et de
dépêcher Baalnawas à Carthage pour demander l’envoi de renforts afin de pouvoir
récupérer les terres indûment occupées par les Numides. À ma grande surprise,
pour toute réponse, je reçus l’ordre de me présenter devant le Conseil des Cent
Quatre dans les meilleurs délais. En galopant à bride abattue, il me fallut
quatre jours pour gagner Mégara. Après m’être rapidement changé, je me rendis
au Sénat où m’attendaient Hannon le Rab et Mutumbaal. Sans me laisser le temps
de lui exposer la situation, le premier m’invectiva grossièrement :
— De
quel droit oses-tu ordonner à nos troupes de faire mouvement en direction des
Numides au risque de déclencher une guerre ? Ignores-tu
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