Hasdrubal, les bûchers de Mégara
qu’il nous est
interdit de nous lancer dans une opération militaire contre un allié de Rome
sans obtenir l’autorisation de celle-ci ? Tu es un jeune freluquet et ton
initiative intempestive est indigne d’un officier responsable. Ta légèreté
mériterait un châtiment exemplaire mais, par amitié pour ton père, l’un de mes
plus proches conseillers, j’ai décidé de mettre ce fait sur le compte de ton
inexpérience.
— Hannon,
fis-je d’un ton indigné, je ne comprends pas les reproches que tu me fais. Nous
sommes victimes d’une agression délibérée de la part de nos voisins et il ne
s’agit pas, cette fois, d’une simple expédition de pillards isolés. Le fils de
Masinissa est à la tête de son armée et il a immédiatement mis en place dans
les régions conquises une administration qui lève les impôts et les taxes à
notre place. C’est une annexion de fait et toute passivité de notre part
encouragera les Numides à pénétrer plus avant sur nos terres. A quoi bon
attendre la réponse de Rome ? Notre bon droit est si clairement établi que
les Fils de la Louve ne pourront que nous donner raison d’avoir agi de la
sorte.
— Je
n’en suis pas persuadé, fit Mutumbaal. Ces maudits Romains sont scrupuleux à
l’excès dès lors que cela ne les concerne pas. Eux peuvent violer les traités
en toute impunité et ils l’ont prouvé à maintes reprises dans le passé. Ils
avaient promis de nous laisser la possession de la Sardaigne et ils s’en sont
emparés. Ils avaient juré de ne pas s’aventurer au sud de l’Èbre et, lorsque
nous avons voulu occuper Sagonte, ils ont affirmé que cette ville se situait
dans leur zone d’influence. Mais ces parjures impénitents ne tolèrent pas que
les autres les imitent.
— Nous
aurions pu les mettre devant le fait accompli, fis-je.
— Pour
ton information, sache que séjourne actuellement dans nos murs l’un de leurs
ambassadeurs, Cnaeus Marcellus Rufus, à la tête d’une commission d’enquête
composée d’une dizaine de sénateurs. Ils sont venus ici percevoir la dernière
annuité de l’indemnité que nous versons à la cité de Romulus depuis la défaite
de Zama. Évidemment, des esprits bien intentionnés l’ont informé de ton
initiative et il a immédiatement exigé que je le reçoive. Notre entrevue a été
plutôt houleuse et il m’a fallu déployer des trésors de diplomatie pour le
convaincre de notre bonne volonté.
— Qu’il
vienne donc visiter la région des Grandes Plaines. Il se rendra compte par
lui-même de la perfidie des Numides.
— Sur
ce point, fit Mutumbaal, tu peux être rassuré. L’un de tes amis, un commerçant
du nom de Marcus Lucius Attilius, se trouvait dans l’une des villes occupées
par Gulussa. Ce fut une chance pour nous car il a pu confirmer tes dires, ce
qui a provoqué chez Cnaeus Marcellus Rufus un changement d’attitude radical.
— Et
c’est à ton ami romain, ajouta Hannon, que tu dois de ne pas être sanctionné.
En te liant d’amitié avec ce marchand, tu nous as rendu, sans le savoir, un
fier service. De surcroît, Mutumbaal est l’un de mes meilleurs conseillers et
je m’en voudrais de punir son fils.
— Je
te remercie de ta générosité, fis-je d’un ton doucereux. À l’avenir, je te
promets de me montrer plus circonspect.
— Tu
auras à nous le prouver sous peu. Pour faire valoir nos droits, nous avons
décidé, dit Hannon, d’envoyer une ambassade à Rome. Azerbaal, mon beau-frère,
la conduira et tu lui serviras de conseiller. Au besoin, il fera appel à ton
témoignage et je te conseille de peser soigneusement tes mots.
— Hasdrubal,
mon fils, ajouta Mutumbaal, tu n’as pas de temps à perdre. Notre délégation
quitte Carthage demain et tu dois te présenter dès cette nuit au port pour
embarquer. N’aie aucune crainte. J’ai donné des ordres à nos domestiques pour
qu’ils préparent tes bagages. Dans un coffre, tu trouveras assez d’argent pour
subvenir à tes besoins et, le cas échéant, pour corrompre certains de nos
adversaires parmi les Fils de la Louve ou pour stimuler le zèle de ceux qui
nous veulent du bien. Hannon et moi pouvons t’assurer qu’en cas de succès tu
seras appelé à de nouvelles fonctions. Maintenant, retire-toi. Tu n’as pas beaucoup
de temps pour aller à Mégara et en revenir.
De fait,
je restais à peine deux heures dans notre demeure avant de gagner le port et de
monter à bord de la trirème où
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