Hasdrubal, les bûchers de Mégara
sembla percevoir derrière son sourire une dureté d’âme dont j’aurais
peut-être à pâtir un jour. Je m’estimais toutefois être de taille à supporter
pareil désagrément et, quand nos invités se furent retirés, je fis part à mon
père de mon désir de la prendre pour épouse. J’y mis une seule condition :
je souhaitais auparavant me rendre à Oroscopa pour annoncer cette nouvelle à
Arishat.
J’eus
grand plaisir à retrouver mon ancienne garnison que Bodeshmoun continuait à
commander avec son autorité coutumière. Il me félicita de ma promotion au grade
de boétharque sans exiger la moindre faveur pour lui. Au fond, il était heureux
de vivre dans cette cité et ne l’aurait quittée pour rien au monde. A la nuit tombée,
je retrouvai Arishat en dehors des murailles, à l’endroit qui avait jadis
abrité nos rencontres. Elle avait mûri et embelli. D’un ton narquois, elle
m’interpella :
— Tu
dois avoir quelque chose d’important à m’annoncer, Hasdrubal, pour t’être
rappelé mon existence après tant de mois.
— J’ai
été accaparé par mes nouvelles fonctions et je suis resté longtemps absent de
Carthage de telle sorte que je n’ai pu venir te rendre visite.
— Ne
cherche pas d’excuse et va droit au fait.
— Mon
père exige que je prenne femme afin d’assurer la postérité de notre lignée.
— Qui
a-t-il choisi pour remplir cette tâche ?
— Imilké,
l’arrière-petite-nièce d’Hannibal.
— Est-elle
belle ?
— Moins
que toi !
— L’aimes-tu ?
— Elle
ne m’est pas indifférente encore que je doute connaître avec elle les plaisirs
que tu me fis découvrir.
— Tu
n’as pas besoin de mon autorisation pour l’épouser. C’est une aristocrate et je
ne suis que la fille d’un modeste officier sans fortune. De toute manière, je
te l’ai déjà dit, je tiens trop à mon indépendance et à ma liberté pour
demeurer enfermée dans ton palais, avec pour toute compagnie quelques esclaves
et des matrones respectables.
— Cela
signifie-t-il que tu as cessé de m’aimer ?
— Tu
as été un amant merveilleux et je ne t’oublierai jamais. J’espère même que nous
resterons amis et que l’occasion nous sera donnée de nous revoir. Mais jamais,
au grand jamais, je ne deviendrai ton épouse ou celle d’un autre.
Je
repartis soulagé pour Carthage où mon mariage fut célébré fastueusement dans
notre palais de Mégara. Même Hannon le Rab se fit une obligation d’y assister,
dissimulant du mieux qu’il le pouvait le déplaisir que lui causait l’alliance
entre le fils de Mutumbaal et une parente éloignée d’Hannibal. Si la cérémonie
fut joyeuse, il n’en alla pas de même de ma nuit de noces. Je dus initier
Imilké aux plaisirs de la chair et je pus constater que ceux-ci lui
répugnaient. Elle se soumit à mes désirs avec une mauvaise grâce que la peur
n’était pas seule à expliquer. Bientôt, elle refusa de partager ma couche et
s’installa, avec ses servantes, dans des appartements contigus aux miens. En
public, nous donnions l’impression d’être un couple uni. En privé, nous étions
des étrangers l’un pour l’autre. Certes, quelques années plus tard, elle me
donna deux enfants, une fille et un garçon, à la suite de quoi – mais
ceci est une autre histoire – nous cessâmes d’avoir toute relation
sexuelle.
Je n’eus
guère le temps de me préoccuper de mon infortune conjugale. Car les événements
s’accélérèrent. Comme prévu, Masinissa envoya à Rome une ambassade conduite par
son fils cadet Gulussa. C’était là un choix judicieux. Autant Gulussa était
intelligent, autant son aîné, Mastanabal, était un incapable, amateur de bonne
chère et de filles. Sa liaison avec l’épouse du général Bythias était connue de
tous d’autant que cette écervelée le poursuivait publiquement de ses
assiduités. A n’importe quelle heure du jour et de la nuit, elle forçait la
porte de ses appartements. Subjuguée par elle, le jeune prince se montrait
incapable de lui refuser la moindre faveur et elle en profitait pour combler de
cadeaux la foule cupide de ses protégés. Nous ne pouvions que nous féliciter de
cette situation car, furieux de voir son honneur bafoué publiquement, Bythias
était devenu l’un de nos agents. Quant à l’autre fils de Masinissa, Micipsa,
nos espions le surveillaient de près et ne désespéraient pas d’acheter ses
services. C’était un être sournois,
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