Hasdrubal, les bûchers de Mégara
hostiles se firent entendre. Mais j’avais disposé tout le long
du parcours des hommes de confiance et ceux-ci réagirent promptement, ordonnant
à la foule de faire aux transfuges une formidable ovation. Ravis de cet
accueil, les cavaliers firent caracoler leurs montures et entonnèrent leurs
chants guerriers traditionnels, couvrant de leurs voix mâles le son des
trompettes et des cors.
Quelques
jours après cette parade, notre armée se mit en mouvement. Soulevant sous ses
pas un formidable nuage de poussière, elle prit la route du nord. Précédés par
la cavalerie lourde et légère, l’infanterie et les contingents de mercenaires
formaient une masse compacte semblable à un mur de fer. Derrière s’avançaient
des chariots chargés de provisions ainsi que des machines de guerre tirées par
des bœufs. Tout le long de la route, les paysans demeurés dans leurs villages
se précipitaient pour offrir de l’eau, du vin et des fruits.
Après
avoir dépassé Sicca, la colonne obliqua en direction de Cirta, observée à
distance par des cavaliers numides. Un soir, deux de mes éclaireurs
m’annoncèrent que Masinissa, inquiet pour le sort de sa capitale, avait ordonné
à ses forces de rebrousser chemin. Mon stratagème avait réussi. Sous peu, la
bataille décisive s’engagerait.
Ne
changeant rien à mes plans, je pris position à proximité d’Oroscopa. La ville,
puissamment fortifiée, était située à l’entrée d’une immense plaine fermée à
son extrémité par une colline boisée sur les flancs de laquelle j’établis mon
camp soigneusement dissimulé par les hautes rangées d’arbres. Quand le vieux
roi s’engagerait entre la ville et la hauteur sans prendre nulle précaution
particulière, il se trouverait pris en tenailles entre mes troupes et la
garnison de la cité et ses soldats seraient taillés en pièces. Dès qu’on me
signala l’approche de l’ennemi, je convoquai mes principaux officiers pour leur
transmettre mes ultimes consignes.
— Demain,
Masinissa s’avancera dans la plaine, contournant Oroscopa qu’il n’a pas le
temps d’assiéger. Quand il sera à mi-chemin de cette colline où nous nous
tenons cachés, je lancerai à l’attaque notre infanterie lourde et les
contingents de mercenaires cependant que la garnison de la cité effectuera une
sortie pour le prendre à revers. Je lui porterai l’estocade finale en ordonnant
à Asasis et à Juba de poursuivre les fuyards. Ne faites aucun quartier. Je ne
veux pas de prisonniers. Nous devons anéantir les Numides jusqu’au dernier afin
de pouvoir récupérer les provinces qu’ils ont annexées par traîtrise. Après
cette victoire, Rome saura qui est le maître ici et ses sénateurs, soucieux de
se faire pardonner leur passivité, nous permettront d’occuper son royaume où
nous pourrons établir de nouvelles colonies. Maintenant, retournez auprès de
vos hommes. Qu’ils mangent copieusement et qu’ils se couchent tôt car je ne
tolérerai aucune défaillance de leur part durant la bataille.
Au petit
matin, l'avant-garde de Masinissa se présenta à la hauteur d’Oroscopa. De loin,
je pus apercevoir le souverain chevauchant au milieu de ses troupes, ayant près
de lui ses trois fils et Publius Cornélius Scipion Aemilianus. Comme me le
rapporta plus tard Marcus Lucius Attilius, celui-ci, après avoir pesté contre
la décision de Marcus Porcius Caton de l’envoyer en Afrique, ne regrettait plus
d’avoir dû s’exiler loin des rives du Tibre. Depuis son arrivée, il était allé
d’émerveillement en émerveillement au fur et à mesure qu’il découvrait les
richesses de ce pays. À plusieurs reprises, il avait risqué sa vie en
participant à des engagements aux côtés des Numides, ce qui lui avait valu de
sévères remontrances de la part d’Arishat. Il avait passé outre à ses conseils
de prudence. Pouvait-il se montrer timoré alors que le père de Gulussa était le
premier à se lancer dans la mêlée bien qu’il eût plus de quatre-vingt-sept
ans ?
À vrai dire,
je pense que, dès cette époque, il avait modifié son opinion à notre égard.
Sans approuver toutes les décisions de Masinissa, il comprenait mieux
maintenant sa farouche soif d’indépendance et sa volonté d’éviter que ses fils
ne se déchirassent pour se partager à sa mort un royaume par trop exigu. En
parcourant les Grandes Plaines, il s’était rendu compte que Carthage y exerçait
une autorité purement nominale en dehors
Weitere Kostenlose Bücher