Hasdrubal, les bûchers de Mégara
sanctuaires ? Souvenez-vous de ce qui est arrivé à Hannibal quand il
viola le temple d’Héra à Tarentum et y massacra ceux qui s’y étaient
réfugiés ? Cette impiété lui valut d’être battu par vos troupes à Zama.
Aussi, je
te conjure de renoncer à ton projet et te propose deux autres solutions. La
première est la plus simple et nous sommes prêts à y souscrire. Au lieu de
détruire notre ville, massacre tous ses habitants par surprise. Tu peux agir
quand tu le veux. Nous sommes désarmés et, avant que les troupes d’Hasdrubal
n’arrivent à notre secours, tu auras pu accomplir ton forfait. Tu passeras de
la sorte ta colère sur des êtres humains et non sur des temples et des
cimetières. Les dieux ne t’en voudront pas et certains seront même ravis de
cette offrande. Quant à nous, nous expirerons le sourire aux lèvres en
contemplant une dernière fois la plus belle des villes. Nous ne pouvons vivre
sans elle ni loin d’elle.
— Rome
n’a pas l’habitude de massacrer des innocents, tonna Marcius Censorinus.
— Alors,
il te reste une autre solution. Autorise-nous à envoyer une nouvelle ambassade
sur les bords du Tibre afin d’implorer la clémence des sénateurs et leur
demander de revenir sur cette décision insensée. Car que penseront vos alliés
si vous mettez à exécution cette menace ? Athènes craindra un jour de
connaître le sort de Carthage tout comme Corinthe, Delphes ou Olympie. Aucun
peuple n’acceptera plus de signer un traité avec une ville capable de se livrer
à de pareilles horreurs. Crois-moi, je te parle en ami, en précipitant les
événements, tu dessers les véritables intérêts de Rome.
— Noble
Punique, tu t’exprimes avec éloquence et je suis sensible à tes arguments. Mais
le Sénat a pris sa décision et je n’ai pas le pouvoir de m’opposer à ses
décrets adoptés dans votre intérêt même. Puisque tu as fait preuve de
franchise, je vais à mon tour te parler sincèrement. Ton peuple doit changer de
mode de vie. C’est parce que Carthage a été de tout temps une puissance maritime
qu’elle a cherché à fonder des colonies en Sicile, en Sardaigne, en Corse et en
Ibérie et qu’elle est entrée en conflit avec nous. Les Grecs, eux aussi, ont
fondé des villes dans le sud de la péninsule italienne et en Asie. Ils ont
cherché à conquérir le monde et à avoir la maîtrise de la grande mer et cette
funeste ambition les a perdus.
Crois-moi,
tes concitoyens connaîtront une vie plus tranquille en s’installant loin de la
mer et en se livrant aux travaux des champs. Certes, ils tireront moins de profits
de l’agriculture que du commerce mais ils vivront en sécurité. Une cité
maritime m’a toujours paru être un navire prêt à couler alors qu’une ville
située à l’intérieur des terres est à l’abri des tempêtes. As-tu remarqué que
la plupart des grands empires, ceux des Mèdes, des Assyriens et des Perses, ont
dû leur puissance au fait qu’ils étaient loin de la mer ?
Il vaut
mieux pour vous vous enfoncer à l’intérieur de l’Afrique où les terres ne
manquent pas. Elles sont quasiment inhabitées et vous n’aurez donc pas à
redouter les attaques de populations hostiles. Rome vous achètera votre
production de blé, d’huile et de vin et vous vivrez dans une modeste aisance,
celle dont se satisfont mes propres concitoyens. Nous savons que bon nombre de
vos habitants vivent d’activités liées à la mer et qu’il leur sera difficile
dans un premier temps de devenir des paysans. C’est pourquoi nous avons décidé
que votre nouvelle cité s’élèverait à trois lieues de la mer. Ce n’est pas une
distance considérable. Elle est en tout cas inférieure à celle qui sépare notre
cité d’Ostie, notre port.
Je puis te
rassurer sur un point. Tu as mentionné vos temples et vos cimetières. Je puis
te promettre qu’ils seront épargnés par la pioche des démolisseurs. Quand vous
le voudrez, vous pourrez vous y rendre pour y célébrer vos fêtes religieuses et
pour honorer la mémoire de vos défunts. Tout le reste, par contre, sera
détruit. À ce que je sache, vous ne rendez pas un quelconque culte à vos
murailles, à vos édifices publics ou à votre port marchand !
Nous vous
avions promis d’épargner Carthage. Nous tenons parole. À mes yeux, Carthage est
constituée par ses habitants et non par l’endroit où elle se trouve. Aussi
prenez garde de nous accuser d’avoir violé nos engagements.
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