Hasdrubal, les bûchers de Mégara
Quand Giscon et Magon eurent
remis à Lilybée les captifs et demandèrent à connaître le décret du Sénat
romain concernant l’avenir de Carthage, Marcus Aelius leur répondit d’un ton
méprisant : « Vous saurez à Utique ce que vous avez à faire pour
obtenir la paix. » En effet, alors que nos trirèmes emmenaient en Sicile
l’élite de notre jeunesse, les consuls Manius Manilius et Marcius Censorinus
s’étaient embarqués à bord de plusieurs centaines de bateaux avec leurs légions
et avaient pris pied sur le sol africain. Ils avaient installé leur campement
près d’Utique, dans un lieu déjà utilisé par Scipion l’Africain pour y établir
le sien. C’est là qu’une délégation du Conseil des Cent Quatre se rendit, avec
à sa tête Mides. C’était l’un des plus fidèles conseillers de Hannon le Rab et
il croyait que son protecteur ratifierait toutes les concessions qu’il était
prêt à faire. Sur ce point, il se trompait car Hannon avait enfin pris
conscience de la gravité de la situation. Il avait secrètement annulé la
sentence de mort prise à l’égard d’Azerbaal, de Carthalon et de moi-même. Il
m’avait intimé l’ordre de lever sur-le-champ une armée de vingt mille hommes
dans la région d’Hadrim. Je m’étais acquitté de cette mission grâce à l’argent
que m’avait fait parvenir Mutumbaal et j’avais été fier de constater que la
moitié de mes recrues étaient des Carthaginois et non des mercenaires
étrangers. Et je savais que des milliers d’autres de nos compatriotes nous
rejoindraient si l’ultime tentative de conciliation avec Rome échouait.
Chapitre 7
J’avais
installé mon poste de commandement dans une ferme près d’Hadrim et c’est là que
je recevais les messages m’apportant quotidiennement des informations relatives
au progrès des discussions avec les Romains. Bien que dépourvu de toute
illusion à leur sujet, je ne pus m’empêcher de frémir en apprenant l’accueil
que leurs consuls avaient réservé à Utique à l’ambassade conduite par Mides.
Après les avoir fait longuement patienter à l’extérieur de leur camp qu’ils
appelaient dans leur langue « Castra Cornelia » (la forteresse des
Cornélius), par allusion à Scipion l’Africain, leur prédécesseur en ces lieux,
ils avaient reçu les membres de la délégation selon un cérémonial soigneusement
calculé. Manius Manilius et Marcius Censorinus se tenaient assis sur une
estrade, entourés des tribuns des légions, cependant que celles-ci s’étaient
rangées dans un ordre parfait autour de leurs aigles et de leurs étendards. Au
loin, dans la baie, l’on pouvait apercevoir les centaines de navires qui
avaient transporté en Afrique le corps expéditionnaire cependant que la
population d’Utique s’était massée sur les remparts pour observer la scène.
Mides et
ses compagnons furent conduits jusqu’au bas de l’estrade et leurs interlocuteurs,
contrairement à l’usage, ne leur offrirent point de s’asseoir. D’un ton rogue,
Marcius Censorinus, meilleur orateur que son collègue, leur demanda ce qu’ils
avaient à dire. D’une voix tremblante d’émotion, le conseiller d’Hannon le Rab
se lança dans une longue harangue dont il avait pesé chaque mot :
— Illustres
représentants du Sénat romain, vous voyez à vos pieds les citoyens les plus
distingués d’une ville fort ancienne, dont la fondation est antérieure à celle
de votre cité. Des siècles durant, nous avons régné sans partage sur ces
contrées et sur la grande mer, fondant des comptoirs et des colonies en Sicile,
en Sardaigne, en Corse, en Ibérie et au-delà des colonnes de Melqart. Partout,
on prononçait avec respect le nom de Carthage et les souverains étrangers
rivalisaient de zèle pour signer avec nous des traités d’alliance. Avec Rome,
alors que cette dernière était encore une modeste bourgade, nous avons toujours
entretenu des rapports d’amitié, nous souvenant qu’Énée, dont descendait
Romulus, avait jadis été l’hôte de notre reine Elissa et qu’elle avait aimé ce
jeune prince contraint, comme elle, de fuir sa patrie. Je n’entrerai pas ici
dans le détail des guerres qui opposèrent nos patries respectives et dont la
famille des Barca porte l’entière responsabilité. Vos dieux vous ont accordé
des victoires éclatantes et toutes nos possessions sont tombées entre vos
mains. Depuis la défaite de Zama, Rome n’a pas cessé d’étendre son
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