Hasdrubal, les bûchers de Mégara
exigences romaines et seul mon père, Mutumbaal, se dressa pour lui porter
la contradiction. Il souligna que, de mémoire d’homme, jamais pareille requête
n’avait été formulée comme préalable à la signature ou à la reconduction d’un
traité d’amitié.
Même au
lendemain de la défaite de Zama, Scipion l’Africain nous avait autorisés à
conserver dix trirèmes de guerre et une minuscule armée. Il n’avait pas
protesté quand son plus farouche ennemi, Hannibal, avait été élu, peu de temps
après, suffète de notre ville. Si nous acceptions cette demande exorbitante,
plaida l’auteur de mes jours, les Fils de la Louve n’hésiteraient pas à nous
demander de démanteler nos murailles car nous ne serions plus en mesure de les
défendre. Ses arguments ébranlèrent une partie de l’assistance, à commencer par
Hannon le Rab. Quand Mides sollicita son avis, il demeura silencieux, le visage
baigné de larmes, et son mutisme fut interprété comme un désaveu des propos de
son conseiller. Toutefois, celui-ci obtint gain de cause. Ses collègues
savaient qu’en cas de refus de notre part les Romains en prendraient prétexte
pour exécuter les otages, c’est-à-dire leurs enfants. Tremblant de peur pour
eux, ils ordonnèrent que l’on remît les armes contenues dans nos arsenaux aux
consuls.
Ceux-ci
déléguèrent Cornélius Publius Scipion Nasica Serapio et Cnaeus Cornélius
Hispanicus pour surveiller le bon déroulement de l’opération. Les ouvriers
entassèrent dans des centaines de chariots plus de deux cent mille armures, des
milliers de lances et de glaives et démontèrent près de deux mille catapultes.
Un matin, un immense cortège quitta Carthage par la porte d’Utique : des
centaines et des centaines de chariots tirés par des bœufs suivis par les
ambassadeurs et par des citoyens de toutes conditions porteurs de palmes et de
rameaux d’olivier en signe de paix. Il leur fallut près de deux jours pour
parvenir jusqu’aux Castra Cornélia où Marcius Censorinus, l’air renfrogné,
s’adressa à la foule :
— Carthaginois,
le Sénat romain vous sait gré de votre obéissance et me charge de vous
communiquer sa décision irrévocable. Votre ville sera désormais notre amie et
notre alliée mais ce sera une nouvelle Carthage. Pour votre bien, nous vous
ordonnons en effet d’abandonner l’emplacement actuel de votre cité et de vous
retirer à trois lieues au moins à l’intérieur des terres afin d’y bâtir votre
capitale. L’ancienne Carthage, dont nous avons eu trop souvent à nous plaindre,
sera livrée à la pioche des démolisseurs. Bien entendu, vous pourrez emporter
avec vous toutes vos richesses et vos meubles et nous veillerons à ce que vous
receviez en quantités suffisantes du blé, du vin et de l’huile pendant toute la
période que prendra la construction de vos nouveaux foyers.
Le consul
ne put continuer à parler. A l’énoncé de cette sentence, tous les Carthaginois
présents éclatèrent en sanglots, en cris, en larmes et en imprécations.
Certains déchiraient leurs riches vêtements et se couvraient la tête de terre,
d’autres se lacéraient le visage et les plus désespérés se roulaient sur le sol
en prenant à témoins les dieux de la perfidie des Fils de la Louve.
Quelques-uns s’efforcèrent cependant de conserver leur calme, en particulier
les prêtres du temple d’Eshmoun que les fidèles prirent à partie en les
accusant d’être responsables de nos malheurs par leur impiété.
Constatant
que Mides demeurait silencieux, par crainte peut-être de se compromettre aux yeux
des consuls ou parce qu’il avait obtenu l’assurance d’être traité de manière
privilégiée, l’un de ses collègues, Banno, imposa le silence à ses compatriotes
et s’adressa à Marcius Censorinus :
— Consul,
je suis un vieillard et il est possible que je meure dans quelques semaines car
je sens mes forces m’abandonner chaque jour de plus en plus. J’en remercie la
bienfaisante Tanit parce que, de la sorte, j’échapperai au sort horrible que
vous réservez à ma cité. Toutefois, je dois te mettre en garde contre les
conséquences de ton geste. Sache que Carthage contient d’innombrables temples
et cimetières où reposent nos ancêtres depuis l’arrivée sur ces rivages de la
reine Elissa. Oserais-tu t’en prendre à leurs sépultures où ils dorment en
paix ? De même, crois-tu que vos dieux vous pardonneront la profanation de
nos
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