Hasdrubal, les bûchers de Mégara
me
résolus alors à la diriger vers Aspis avec des vivres en grandes quantités. Par
la suite, si nous parvenions à forcer le blocus maritime, nous pourrions
transporter ces malheureux jusqu’au port marchand et les installer, comme
prévu, à Mégara. Après avoir incendié les fermes et les semailles et empoisonné
les puits, je fis mouvement vers Nepheris [9] , située à mi-chemin entre le lac de Tunès et Néapolis [10] . De là, je pouvais mener des incursions dans la campagne et surveiller
les mouvements de Marcius Censorinus.
Meilleur
orateur que l’autre consul, celui-ci était, ainsi que je m’en aperçus, un
piètre stratège. Il avait surtout exercé des magistratures civiles et ignorait
tout de l’art de la guerre. De plus, il était d’un orgueil et d’une
susceptibilité maladifs. Imbu de ses prérogatives, il ne tolérait pas les
conseils des officiers plus expérimentés placés sous ses ordres, en particulier
le jeune Publius Cornélius Scipion Aemilianus dont Manius Manilius s’était
débarrassé en l’affectant à l’état-major de son collègue.
J’étais
mieux loti. Mutumbaal avait fait nommer comme chef de ma cavalerie Hilmicon
Phaméas, un militaire de carrière, dont il connaissait bien la famille. Dès
notre première rencontre, je fus séduit par ce brillant officier dont le
courage et la témérité semblaient n’avoir point de limites. Depuis des années,
il rongeait son frein à Carthage et avait donc accueilli la déclaration de
guerre avec soulagement. Enfin, il allait pouvoir combattre ! Ses hommes,
parmi lesquels bon nombre d’auxiliaires numides, lui étaient totalement
dévoués. Nous passâmes de longues heures à mettre au point notre stratégie. Il
était encore trop tôt pour lancer une attaque frontale contre les légions romaines
et nous convînmes qu’il valait mieux démoraliser celles-ci en entretenant un
climat de perpétuelle insécurité. L’occasion nous en fut fournie par Marcius
Censorinus. Pour renforcer les défenses de son camp et construire de nouvelles
machines de guerre, il avait besoin de bois et il envoya un détachement de deux
mille hommes abattre des arbres dans la forêt située sur la hauteur dominant le
lac de Tunès. Pendant deux jours, surveillés de loin par mes espions, les Fils
de la Louve s’acquittèrent de leur mission et déboisèrent une partie de la
colline. Persuadés d’être en parfaite sécurité, ils relâchèrent vite leur
vigilance et omirent d’envoyer des patrouilles inspecter les environs. Je
profitai de cette faute pour ordonner à Himilcon Phaméas de se dissimuler avec
ses cavaliers dans plusieurs fermes abandonnées en bordure du lac, coupant
ainsi la retraite des Romains. Quand ceux-ci se dirigèrent vers l’embarcadère
où les attendaient leurs navires de transport, ils étaient à ce point fatigués
par leur labeur des journées précédentes qu’ils ne furent point en mesure de
repousser la charge furieuse de notre cavalerie. Abandonnant les lourds
chariots chargés de troncs d’arbre, les fantassins se précipitèrent dans l’eau
pour monter à bord des bateaux. Leurs cavaliers furent taillés en pièces par
ceux de mon adjoint et près de cinq cents d’entre eux perdirent la vie dans cet
engagement.
Loin de
tirer la leçon de cette cuisante défaite, Marcius Censorinus persuada Manius
Manilius de lancer une nouvelle attaque contre la muraille de Carthage. Leurs
soldats s’avancèrent de nuit sans être repérés par la garde postée sur le
chemin de ronde et les tours. Au petit matin, ils dressèrent leurs échelles et
entreprirent d’escalader l’enceinte. Fort heureusement, l’alerte put être
donnée à temps et la garnison se porta sur les remparts aussi promptement
qu’elle le put. Elle arriva alors que les premiers assaillants tentaient d’y
prendre pied. Se battant comme des lions, nos hommes les repoussèrent en leur
infligeant de lourdes pertes. Par des espions, j’appris que ce nouvel échec
avait provoqué une explication orageuse entre les deux consuls. Manius
Manilius, estimant que, du côté où il avait établi son camp, la ville était
imprenable, décida d’attendre l’arrivée de renforts en provenance de Rome avant
de se lancer dans d’autres opérations.
Marcius
Censorinus ne parut pas s’en formaliser outre mesure. Cela lui laissait les
mains libres et certains des membres de son entourage, soucieux de gagner ses
bonnes grâces, le persuadèrent que
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