Hasdrubal, les bûchers de Mégara
j’espère que tu as pris soin d’éloigner de leurs
campements les prostituées qui suivent d’habitude les armées et dans les rangs
desquelles nos ennemis recrutent trop souvent des espionnes. Fais en sorte que
tes hommes ne murmurent pas que leurs généraux sont mieux lotis qu’eux car leur
mécontentement serait préjudiciable au maintien de la discipline. Ai-je été
assez clair à ce sujet ?
— Oui,
père, et je tiendrai compte de tes sages avis.
— Bien.
J’ai pu inspecter tes troupes et je te félicite de leur bonne tenue. Elles ont
fait un excellent travail et les greniers de notre ville regorgent, grâce à
elles, de provisions. Il te reste une dernière mission à accomplir. Dès que tu
auras quitté ces parages, Hadrim, Ancholla et d’autres cités ouvriront leurs
portes aux Romains, agissant comme l’ont fait nos compatriotes d’Utique. Tu
dois les détruire et obliger leurs habitants à se replier sur Carthage avec
tous leurs biens. Nous avons autant besoin des hommes que des femmes, des
enfants et des vieillards pour que les uns combattent et pour que les autres
travaillent dans les ateliers ou nous aident à consolider nos murailles et à
creuser des fossés afin d’empêcher la progression des légions. Nul ne doit être
autorisé à rester dans ces lieux après ton départ.
Tu
appliqueras la même consigne à la région du Beau Promontoire. Nos fermiers et
nos colons doivent incendier les fermes et détruire les murailles de leurs
cités afin que ces dernières ne puissent être utilisées par les Romains pour y
chercher refuge quand nous lancerons contre eux plusieurs offensives. Qu’ils
déracinent les oliviers et les plants de vigne, qu’ils brûlent leurs semailles
et qu’ils empoisonnent les puits. L’ennemi ne doit trouver devant lui que le
désert, la ruine et la désolation. Fais en sorte aussi que tous les navires à
l’ancre dans les ports de ces rivages gagnent Carthage où nous les
transformerons en bateaux de guerre. Quant aux esclaves, informe-les qu’ils
seront immédiatement affranchis s’ils s’engagent dans ton armée. Cette décision
a porté ses fruits à Carthage et nous disposerons de la sorte de dizaines de
milliers d’hommes supplémentaires. Tu as un mois pour exécuter ces ordres.
Quand tout sera terminé, prends position avec ton armée à proximité du lac de
Tunès et construis un camp solidement fortifié car je redoute que les consuls ne
veuillent occuper cette position stratégique.
Tiens-moi
régulièrement au courant de l’avancement de tes préparatifs et sache que tu
peux nous demander des renforts si cela se révèle nécessaire. Je ne tolérerai
aucune faute dans l’exécution de ta mission et tu en réponds sur ta tête.
Maintenant, il est temps de nous séparer. Je dois regagner la cité d’Elissa où
j’ai beaucoup à faire. Ai-je été assez clair ?
— Oui.
Tu peux compter sur ma loyauté et sur mon dévouement. Une dernière chose :
comment se portent mes enfants ?
— Ils
se trouvent dans notre palais de Mégara et leur jeune âge ne les empêche pas de
travailler dans les ateliers qui y ont été installés. Tu ne reconnaîtrais pas
notre vieille demeure. Les forgerons ont pris possession des communs et y fabriquent
chaque jour des centaines de glaives et de lances. Quant à nos jardins, ils ont
été transformés en potagers, tout comme ceux de nos voisins. Cela nous permet
de ne pas toucher, pour l’instant, aux stocks de grains. Aux alentours, nous
faisons construire des baraquements pour abriter les milliers de réfugiés qui
arriveront sous peu et qui ne trouveront pas tous à se loger en ville.
Crois-moi, lorsque j’observe la véritable frénésie qui a saisi Carthage, je
suis très optimiste pour la suite des événements. Les Romains ont des légions,
nous, nous avons derrière nous tout un peuple conscient qu’il se bat pour sa
survie. Entre les deux, la partie est nécessairement inégale.
Chapitre 8
L’entrevue
avec Mutumbaal m’avait insufflé un surcroît d’énergie et c’est le cœur léger
que je repartis pour Hadrim retrouver mes soldats et, surtout, Arishat.
Auparavant, je fus obligé d’inspecter les fortifications de Carthage avec
Hasdrubal l’étourneau. Sa petite taille, son visage émacié, sa chevelure
grisonnante et sa distraction légendaire lui avaient valu ce surnom dont il
avait l’élégance de rire. Avec ses officiers, il vint me chercher à ma sortie
du bâtiment du
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