Hasdrubal, les bûchers de Mégara
nouveaux commandants en chef romains, j’eus tout loisir
de renforcer les fortifications de mon camp à Nepheris et d’entraîner plusieurs
centaines de recrues fraîchement incorporées dans mon armée. Il s’agissait de
volontaires puniques qui s’étaient enfuis de leurs villes ralliées à nos
ennemis ou de cavaliers numides en rébellion ouverte contre les fils de
Masinissa. Aux premiers, je fis bon accueil car leur geste montrait que
l’esprit de résistance animait encore les meilleurs rejetons de notre peuple.
Enfants de portefaix, d’artisans, de commerçants, de notables ou
d’aristocrates, ces jeunes gens avaient pleuré de honte quand leurs magistrats,
avec le concours d’une grande partie de la population, avaient préféré la
capitulation à l’honneur et ouvert les portes de leurs cités à nos plus mortels
ennemis. Dissimulant leurs sentiments, ils avaient attendu le moment propice
pour s’enfuir et rejoindre, après plusieurs journées de marche, mon camp, en
bravant mille dangers. Surpris par une patrouille romaine, ils auraient en
effet été exécutés sur-le-champ comme parjures à la parole donnée par leurs
pères, une parole qui ne les engageait pas mais qu’on leur faisait obligation
de respecter.
Quant aux
seconds, ils m’apportèrent de précieux renseignements. Certes, beaucoup d’entre
eux étaient des têtes brûlées qui ne rêvaient que d’une chose : se battre,
piller et violer. Ils supportaient mal la discipline très stricte que faisaient
régner les consuls et plus d’un, surpris en flagrant délit de brigandage, avait
été condamné à recevoir une dizaine de coups de verge distribués généreusement
par des centurions aux muscles noueux. En me rejoignant, ils savaient que je
les laisserais libres de guerroyer à leur guise et que je fermerais les yeux
sur leurs rapines dès lors que celles-ci visaient les traîtres à notre cause.
Mais parmi ces transfuges, l’on trouvait aussi des fils et des petits-fils de
vétérans des armées d’Hannibal. Pour eux, nous étions des voisins et des amis, contrairement
aux Romains qu’ils considéraient comme des étrangers dont tout les séparait. En
bavardant familièrement avec eux, je découvris rapidement que Gulussa les avait
déçus.
Au début,
ils avaient accueilli avec joie sa nomination à la tête de l’armée. De tous les
fils de Masinissa, c’était le plus brave et le mieux fait pour occuper ce
poste. Ils avaient vite déchanté. Mal conseillé, leur chef favorisait certaines
tribus au détriment d’autres, celles précisément auxquelles ils appartenaient.
Révoltés par cette injustice, ils avaient regagné leurs villages pour mettre
leurs familles à l’abri. Dans les montagnes de Numidie, les endroits
inexpugnables ne manquaient pas et les déserteurs y avaient conduit les leurs
afin de leur éviter des représailles. Puis, galopant sur leurs petits chevaux,
ils avaient traversé la région des Grandes Plaines pour venir se placer sous
mes ordres. Je donnai à mes officiers la consigne de les traiter du mieux
possible et leur fis verser, contre l’avis de mes intendants, une année entière
de solde. Soigneusement répercuté, ce geste provoqua de nouveaux ralliements.
Bientôt, je fus à la tête de plus de trente mille hommes dont un bon tiers de
cavaliers, ce qui me permettait d’envisager l’avenir sous les meilleurs
auspices.
Car, avec
le retour de la belle saison, les combats reprirent et tournèrent vite à notre
avantage du fait des erreurs commises par nos adversaires. Cela ne me surprit
guère. À peine débarqué à Utique, Calpurnius Pison, méprisant les conseils de
prudence des officiers qui avaient servi sous Lucius Mancinius, se décida à
mener des opérations militaires au nord de Carthage et dans la région du Beau
Promontoire. En découvrant le triste état des troupes placées sous ses ordres,
il avait laissé éclater sa colère. Ses légions étaient à ce point démoralisées
qu’il ne pouvait songer à les lancer à l’assaut des murailles de notre cité où
elles avaient déjà essuyé plusieurs échecs. Leurs soldats avaient perdu de leur
superbe et les seuls actes d’héroïsme dont ils se montraient encore capables
étaient de piller les fermes environnantes, suscitant les protestations
indignées des magistrats d’Utique auxquels elles appartenaient.
La mort
dans l’âme, Calpurnius Pison et Lucius Mancinus durent se rendre à
l’évidence : tout était à
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