Hasdrubal, les bûchers de Mégara
m’importe peu et,
vous le savez, je n’ai pas de famille.
Mais je me
sens responsable de votre sort et c’est donc en votre faveur que j’ai intercédé
auprès de lui. C’est pour vous que j’ai obtenu les garanties suivantes. Si vous
acceptez de me suivre et d’abandonner Hasdrubal le boétharque à ses folles
aventures, vous serez autorisés à garder vos armes et à vous établir là où vous
le souhaiterez. Ceux d’entre vous qui désireraient s’engager dans les rangs de
l’armée romaine pourront le faire et conserveront leurs grades. Les autres
pourront gagner Utique. Ils continueront à percevoir leur solde et des terres
leur seront allouées afin qu’ils puissent les défricher et les mettre en
valeur. Ils seront exemptés de taxes pendant une période de cinquante ans et ne
seront pas soumis à la conscription militaire, eux et leurs descendants. Vos
familles demeurées à Carthage seront placées sous la protection du Sénat romain
et les trois cents otages que celui-ci détient à Lilybée répondront sur leur
tête de leur sécurité. Vous n’avez donc rien à craindre pour elles.
À vous
maintenant de choisir entre la vie et la mort, entre le bonheur et la
souffrance, entre la paix et la guerre. Réfléchissez-bien. Croyez-vous
qu’Hasdrubal et les siens vous récompenseront de votre dévouement si,
d’aventure, ils venaient à l’emporter ? Souvenez-vous du sort misérable
qui fut réservé aux vétérans d’Hannibal, le plus vaillant de nos généraux.
Quand ce dernier dut s’enfuir de Carthage, chassé par le Conseil des Cent
Quatre, ses anciens soldats furent licenciés sans indemnités. Ces hommes, qui
s’étaient battus en Ibérie, en Italie et à Zama, qui avaient versé leur sang
pour leur patrie et qui avaient le corps couvert de blessures glorieuses, ont
dû mendier leur pain. Les aristocrates qui règnent sur notre ville depuis des
siècles n’ont que mépris pour leurs concitoyens. Ils ne songent qu’à une
chose : à leurs fabuleuses richesses et à leurs palais où ils vivent
reclus, loin de la foule. Ils accablent le peuple d’impôts parce qu’ils se
refusent à financer avec leur argent les dépenses nécessaires au fonctionnement
de notre cité. De tels monstres méritent-ils que l’on meure pour eux ?
Assurément, non. Aussi, n’ayez aucun remords de les abandonner au sort qui les
attend.
Un dernier
mot : vous êtes des soldats et votre honneur vous interdit de vous rendre.
Sachez donc qu’il ne s’agit pas d’une capitulation. Le Conseil des Cent Quatre
n’est pas le seul à incarner Carthage. Vous êtes Carthage au même titre que lui
et vous décidez librement de votre sort et du sort de votre cité. En lui
permettant de pouvoir continuer à vivre, vous ne la trahissez pas. Vous servez
ses intérêts. Que ceux qui veulent se joindre à moi se placent à mes
côtés !
Pendant
quelques longs moments, les soldats demeurèrent abasourdis, sous le choc des
terribles paroles de leur chef. Puis certains d’entre eux se détachèrent de
leurs camarades et galopèrent vers Phaméas, suivis bientôt par deux mille
autres. Je dois le reconnaître, Phaméas accepta de laisser repartir librement
vers Nepheris l’un de ses officiers, Hannon, et deux cents cavaliers qui
refusaient de se rendre à ses arguments. Avec ses hommes, il se dirigea vers
les lignes romaines où l’attendait Scipion Aemilianus. Les légionnaires les
accueillirent avec une formidable ovation et ne tardèrent pas à fraterniser
avec eux. Grâce à ce renfort inattendu, Manius Manilius put regagner son camp
fortifié où il se prépara à passer la mauvaise saison.
Quand
Hannon me raconta ce qui s’était passé, je fus frappé de stupéfaction. Certes,
j’avais toutes les raisons de me méfier de mon adjoint, depuis notre dernière
entrevue, mais je ne pouvais imaginer qu’il se vengerait ainsi de sa déconvenue
amoureuse. Pendant deux jours et deux nuits, je demeurai sous ma tente dont je
fis interdire l’accès à Arishat. Je voulais rester seul avec mon chagrin. Il me
fallut pourtant reprendre mes esprits et avertir le Conseil des Cent Quatre de
la terrible nouvelle. Je n’ignorais pas que j’en étais indirectement
responsable en raison de l’attitude de ma maîtresse. Or, cela, je ne pouvais
l’avouer à Mutumbaal car je savais qu’il m’aurait ordonné de me séparer d’elle
sur-le-champ. Je priais Tanit la bienfaisante de faire en sorte que jamais le
chef félon
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