Hasdrubal, les bûchers de Mégara
ces légions qu’attend en
vain Calpurnius Pison. Il se pourrait même qu’une partie de votre nouvelle
flotte de guerre soit envoyée de l’autre côté de la grande mer pour aider les
Macédoniens.
— Voilà
autant de nouvelles dont je ne puis que me réjouir.
— Je
te pensais plus sage. Conscients qu’ils ne peuvent mener la lutte sur deux
fronts, certains Pères conscrits estiment préférable de faire la paix avec
vous. Leurs yeux sont tournés vers la Grèce et non vers l’Afrique. Ils ont
compris que Marcus Porcius Caton les a trompés en réclamant la destruction de
votre ville où ils comptaient de nombreux amis. Ils sont prêts à renouer avec
Hannon le Rab et avec ses partisans au nombre desquels figure désormais ton
rival, Hasdrubal l’étourneau. Si ce dernier vient annoncer au peuple que, grâce
à ses bons offices, la cité de Romulus est revenue sur ses exigences initiales,
notamment l’obligation de reconstruire votre ville à quatre-vingt-cinq stades
de la mer, et qu’elle consent à laisser Carthage vivre en bonne amitié avec
Rome, la foule le portera en triomphe et massacrera tous ses adversaires, à
commencer par ton père.
— Encore
faudrait-il qu’Hasdrubal l’étourneau ait pu négocier avec les Romains ! Or
il est assiégé et les espions du Conseil des Cent Quatre le surveillent
étroitement. Si de pareils contacts avaient eu lieu, nous en aurions été
informés et Mutumbaal aurait pris les mesures nécessaires pour punir pareil
forfait.
— Ton
rival le sait et il est bien trop prudent pour agir à découvert. Tu oublies
cependant une chose : il a épousé l’une de mes sœurs.
— Voilà
qui aurait plutôt de quoi me rassurer ! Tu peux la raisonner.
— N’y
compte pas. Cette idiote nous déteste, Micipsa et moi, et ne jure que par cet
imbécile de Gulussa. Sache-le, c’est par l’intermédiaire d’une servante de son
épouse que le chef de la garnison de Carthage négocie actuellement avec mon
frère et avec ses alliés romains. Voilà pourquoi je t’ai demandé tout à l’heure
si ta ville était prête à tenir les engagements que tu prendrais en son nom
envers nous. Qui nous dit que, demain, toi et les tiens la dirigerez
encore ? Que se passerait-il pour nous si, par malheur, Hasdrubal
l’étourneau, après avoir conclu la paix avec les Romains, était porté à la tête
du Conseil des Cent Quatre ? Pour remercier Gulussa de ses bons services,
il l’aiderait à se débarrasser de nous. Je veux bien traiter avec toi mais à
condition d’en tirer réellement profit. Or, tant qu’Hasdrubal l’étourneau sera
vivant, ni moi ni mon frère ne serons assez fous pour lier notre destin au
vôtre car ce serait signer notre perte.
— Et
s’il venait à disparaître ?
— Gulussa
et les Romains n’auraient plus d’interlocuteurs à Carthage et tout deviendrait
dès lors possible. À ce moment-là et à ce moment-là seulement, j’accepterais de
te revoir pour signer avec ton peuple un traité d’amitié. En unissant nos
forces, nous pourrions alors chasser les Romains d’Afrique et nous partager
celle-ci. A toi de faire en sorte que cela se réalise. Quand tu seras en mesure
de me fournir les garanties que je réclame, tu n’auras qu’à m’envoyer Hiempsal.
Cela suffira pour sceller le destin de Gulussa. Maintenant, il est temps pour
nous de nous séparer.
De retour
à Nepheris, je réfléchis longuement à la proposition de Mastanabal. Elle était
très tentante et, s’ils en avaient été informés, nos magistrats m’auraient
intimé l’ordre de mener à bien ce complot. Une chose toutefois avait éveillé ma
méfiance : le fait que Hiempsal, plutôt que de lier son sort à celui de
ses princes, ait choisi de se réfugier auprès de moi, en disait long sur le peu
de crédit dont ils disposaient dans leurs domaines. Si leur frère venait à
disparaître, seraient-ils réellement en mesure de gouverner le royaume, de
rallier à leur cause leurs sujets et de nous amener les renforts dont nous
avions besoin ? Les tâches qui leur avaient été assignées, la justice et
les finances, sans être négligeables, étaient bien peu de chose à côté du
commandement de l’armée échu à Gulussa. Autant je me voyais combattre avec des
cavaliers numides, autant je m’imaginais mal utiliser à des fins militaires une
cohorte de magistrats et de collecteurs d’impôts. L’évidence s’imposa à moi
d’elle-même : c’était avec leur
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