Hasdrubal, les bûchers de Mégara
A
plusieurs reprises, disaient-ils en offrant à leurs auditeurs de quoi étancher
leur soif, il avait sauvé ses compagnons d’armes du désastre. Ce n’était pas là
le fruit du hasard. Tout comme son grand-père adoptif, Scipion l’Africain,
vainqueur de la seconde guerre punique, il était chéri de Jupiter Capitolin et
possédait un don de divination lui permettant d’anticiper les mouvements de
l’ennemi et de prendre les mesures nécessaires pour y parer. Sa popularité crut
bientôt et, dans la rue, la foule l’abordait pour le supplier de briguer le consulat.
Phaméas se trouvait le plus souvent à ses côtés et sa présence renforçait la
conviction des Fils de la Louve. Si ce jeune homme avait réussi à gagner à sa
cause l’un des meilleurs généraux carthaginois, il était capable d’opérer
d’autres miracles.
L’objet de
toutes ces flatteries se montra fort prudent. Respectueux des lois en vigueur
dans sa cité, il savait que son jeune âge lui interdisait de briguer le
consulat : il devait avoir pour cela trente-sept ans et n’en avait que
trente et un. Il ne pouvait donc espérer au mieux que devenir édile, ce qui
l’aurait contraint à demeurer sur les bords du Tibre pour s’occuper de tâches
purement administratives : l’entretien de la voirie et des bâtiments
publics, le ravitaillement de la cité et l’embellissement de celle-ci. Lorsque
les Comices centuriates se réunirent afin de désigner les magistrats pour
l’année à venir, un événement sans précédent se produisit : elles
désignèrent à l’unanimité comme consul Scipion Aemilianus bien que celui-ci
n’ait pas été candidat. Une formidable ovation salua l’annonce de ce résultat
et la foule se porta en masse vers le Sénat pour l’obliger à ratifier cette
décision. Quelques Pères conscrits, appartenant au parti aristocratique,
tentèrent de s’opposer à cette entorse aux lois de la République mais leurs
collègues leur firent remarquer que ce refus déclencherait une émeute durant
laquelle la plèbe s’attaquerait aux demeures des récalcitrants et les
pillerait. Cette perspective suffit à faire changer d’avis les sénateurs les plus
intransigeants et ils ratifièrent le choix des Comices. Bien plus, alors que
les provinces était traditionnellement tirées au sort entre les deux consuls,
Scipion Aemilianus reçut le commandement de l’armée d’Afrique sans avoir
recours à cette procédure.
Le nouveau
consul se conduisit fort habilement. Il rendit visite à tous les sénateurs pour
les remercier de la confiance qu’ils lui témoignaient et pour bien marquer
qu’il n’entendait pas empiéter sur leur autorité et leurs prérogatives. Puis,
pour rassurer la plèbe, il annonça que les recrues des contingents qu’il
s’apprêtait à lever ne seraient pas prises parmi les citoyens de Rome mais chez
leurs alliés italiens, grecs et gaulois, auxquels il fit sentir que sa cité ne
tolérerait aucun refus. Dès que les vents le permirent, il embarqua pour
l’Afrique à la tête de plusieurs milliers de cavaliers et de fantassins.
Le
commandant en chef de la marine, Lucius Mancinus, n’aimait guère ce freluquet,
ainsi qu’il le surnommait de manière méprisante, et avait décidé de lui donner
une bonne leçon avant son arrivée. Dans le plus grand secret, il avait monté
une opération terrestre et maritime contre Carthage après avoir remarqué qu’au
nord du faubourg de Mégara, notre muraille, protégée par une chaîne de
montagnes très escarpée [12] et par une mer semée d’écueils et de bas-fonds, était laissée
quasiment sans défenseurs. A la faveur de la nuit, il parvint à escalader
l’enceinte avec une poignée d’hommes et fut rejoint par plusieurs centaines de
ses marins qui, à bord d’embarcations légères, débarquèrent le long du rivage
et investirent la nécropole de Mégara qu’ils fortifièrent à la hâte.
Ce coup de
main audacieux aurait pu réussir s’il avait été plus soigneusement préparé. Or
Lucius Mancinus avait omis de prendre avec lui du ravitaillement et bon nombre
de ses soldats, en franchissant les écueils, avaient perdu leurs armes. Il
était à la merci d’une contre-offensive foudroyante de nos troupes et se hâta
donc d’envoyer un messager à Utique, suppliant Calpurnius Pison, qui s’apprêtait
à rentrer à Rome, de lui envoyer des renforts.
Ses
craintes étaient fondées. Mégara était habitée par des milliers de
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