Haute-Ville, Basse-Ville

prétendues découvertes.
    —    Je ne prétends rien, répondit Gagnon.
    Il sortit, l'un après l'autre, ses deux pots en verre et les déposa devant le chef de police.
    —    Dans celui-là, désigna-t-il du doigt, se trouve la terre que j'ai prise dans le caveau à légumes. N'importe quel médecin pourra confirmer la présence de sang. Dans l'autre pot, vous avez mon mouchoir. J'avais mis la terre dedans. Il est rougi par le sang.
    Cette tache d'un vilain rose pouvait bien, en effet, témoigner de la présence de sang. La poignée de terre, quant à elle, ressemblait à n'importe quelle amas de terre humide. Il leva des yeux perplexes.
    —    Vous n'êtes pas obligé de me croire sur parole, continua Gagnon. Vous demandez simplement à un médecin, ou à un biologiste, je ne sais pas, moi. Un de ces gars instruits qui font des analyses. Il constatera que c'est le sang de Blanche Girard.
    —    Même si c'est du sang, cela ne prouve pas qu'il vient de chez Henri Trudel. Cela peut-être le tien, ou celui d'un porc.
    —    Vous savez comment vous en assurer. Avec un mandat de perquisition, vous faites fouiller la maison et le caveau. Il sera possible de trouver d'autres traces de sa présence, j'en suis sûr, comme des cheveux, des fragments de ses vêtements. Surtout, elle a dû perdre des litres de sang.
    —    C'est ça. Je me présente chez le juge, et je lui dis: «Votre Honneur, j'ai un policier qui est entré illégalement chez Henri Trudel. Il a vu un morceau de vêtement dans le poêle, et il pense qu'il y a du sang dans le caveau à légumes.» Tu sais ce qu'il va me répondre, le juge ?
    Gagnon se doutait bien de la réaction d'un magistrat en pareille circonstance. Le chef crut cependant bon d'expliquer :
    —    Le bon juge, qui a fait ses humanités en même temps que le ministre Trudel, dans le même collège ou un collège voisin, qui a fait des études à la faculté de droit en même temps que le ministre, qui a peut-être épousé la sœur ou la cousine du ministre - ils sont tous parents ces gens-là -, va m'envoyer au diable. Ce que tu as là, si ça vient bien de chez Trudel, c'est illégal. Ton juge, il va même signer immédiatement un mandat d'arrêt contre toi.
    —    S'il signe un mandat d'arrêt contre moi, ils devront faire la preuve que je suis entré chez lui. Penses-tu que j'ai laissé des traces ?
    Gagnon élevait la voix, impatient. Dans la chaleur du moment, il passait du «vous» au «tu».
    —    Je n'ai rien volé, sauf un peu de terre. Penses-tu qu'ils vont m'accuser d'avoir dérobé une poignée de terre ?
    —    Peut-être qu'il ne signera pas le mandat d'arrêt contre toi.
    Ryan demeura songeur un moment, puis poursuivit son idée.
    —    Peut-être que ce magistrat va simplement dire à son ami le ministre de te faire mettre à la porte. Et de me faire mettre à la porte moi aussi, juste parce que j'aurai osé présenter ces accusations et demander le mandat.
    Selon toute probabilité, les choses se passeraient comme cela.
    —    Si tu es intéressé à la justice, murmura l'enquêteur, cela ne devrait pas te retenir. Je veux les salauds qui ont tué cette fille.
    —    On ne peut pas les avoir, en admettant que ce sont eux. Tes preuves sont illégales. Tu n'auras pas de mandat avec cela. Ce ne sont pas des trous du cul soupçonnés d'avoir volé dix paires de chaussures. Les mandats, on les a sans même invoquer une raison, dans ces cas-là. Pour ces fils de riches, tu ne l'auras jamais. Tu me demandes de me mettre dans la merde jusqu'au cou, mais on n'aura pas les mandats.
    —    La loi est la même pour tout le monde.
    Le ton du lieutenant révélait tout son scepticisme. Un personnage important ne montait jamais sur l'échafaud, à moins que cent personnes au moins ne l'aient vu tuer quelqu'un. Et même dans ce cas, les dix meilleurs avocats de la province uniraient leurs efforts pour trouver des circonstances atténuantes. Mieux encore, ces disciples du droit plaideraient la folie. Le tueur serait enfermé dans un asile pendant un moment, puis relâché avec un papier d'un médecin le disant guéri.    Les    journaux    américains    foisonnaient
    d'histoire de ce genre.
    —    Il y a un moyen, finit-il par dire après un moment. Si les gens se mettent à parler de cette affaire, du livret de banque, de la maison où ils font leurs orgies, les autorités seront obligées de signer un mandat. Tu