Haute-Ville, Basse-Ville
d'entre eux.
Dépitée car il avait raison, elle apprécia toutefois le compliment. Renaud regagna son appartement en souhaitant ne plus voir de sandwichs ou de thé pour longtemps.
L'avocat avait quitté l'Angleterre à la fin du mois de juin, trois mois plus tôt exactement. Il pouvait additionner à ceux-ci une longue abstinence à Londres. La privation ne lui avait pas pesé encore. La vie lui fournissait son lot de préoccupations: un travail harassant, la mort de son père, le retour au Canada et l'organisation de sa nouvelle vie. Six ou huit mois ne paraissait pas si longs pour quelqu'un rompu à «mater ses bas instincts», ce qu'il réussissait en travaillant plus fort, plus longtemps, en faisant de longues marches ou des promenades en auto.
Ses rapports sexuels avaient été assez épisodiques. Dans la très grande majorité des cas, il avait payé pour les avoir. Les jeunes femmes de sa vie, peu nombreuses en vérité, avaient toutes tenu à peu près le même discours que Germaine. Leur attachement à leur réputation, sinon à leur virginité, et l'espoir d'un mariage éventuel les rendaient inflexibles. En Europe, elles se montraient un peu plus complaisantes qu'à Québec, mais la réalité demeurait la même: toutes attendaient le mariage pour s'abandonner complètement. Les
hommes, quant à eux, achetaient les services de prostituées pour trouver leur satisfaction. Ainsi, ils ne se montraient pas désagréablement insistants avec les jeunes femmes courtisées pour le «bon motif».
Plutôt que de presser Germaine Caron pour obtenir ce qu'elle tenait à conserver, Renaud Daigle se résolut à trouver une « maison de tolérance ». À ce moment, dans les couloirs de l'Université Laval, on discutait de la situation d'un professeur de chimie d'origine suisse, chassé pour avoir eu une maîtresse. Selon la rumeur, découvert avec une jeune fille de Québec dans son lit à quatre heures du matin, à huit heures, sa carrière était terminée! Bien sûr, la sanction se révélait d'autant plus sévère qu'un oncle de la dulcinée était un chanoine proche de l'université. Un bordel discret valait mieux qu'une liaison, dans cette ville puritaine.
La difficulté était de trouver l'endroit. Il profita d'un soir où il était allé souper au Château Frontenac pour demander discrètement à un portier, en sortant:
— Où puis-je sortir et me détendre un peu ?
Deux dollars passèrent de main à main. L'argent offert et la prudence du client ne pouvaient laisser de doute au portier quant à la nature de la détente souhaitée. Il apprécia l'allure prospère de Renaud et suggéra :
— Il y a un endroit dans la rue Cartier.
C'était bien trop près des maisons bourgeoises de la Grande Allée: le plaisir d'y aller à pied ne compensait pas le risque de croiser des connaissances tout le long du chemin. Il fit signe que non.
— Il y a aussi le Chat, rue Saint-Vallier, fit l'autre.
— C'est bien comme endroit?
Il ne voulait pas non plus du lupanar prolétarien. L'avocat demeurait tout à fait conscient de son appartenance de classe.
— Oui, oui. Un endroit pour professionnels ou hommes d'affaires.
Il verrait par lui-même. Le portier lui donna l'adresse et ajouta même :
— Vous direz que Georges vous envoie.
Non pas qu'il fallût une recommandation pour entrer là, mais l'employé tenait à son petit cadeau de la tenancière.
Le samedi suivant, Renaud passa la porte du Chat. L'endroit lui sembla correct. Il avait vu bien pire pendant la guerre.
Une grosse dame fardée, Berthe, vint à sa rencontre afin de lui offrit à boire, de l'opium, puis ses « protégées ». Un verre à la main pour se donner une contenance, car, s'il n'était pas honteux, l'achat d'un service aussi intime le troublait, il regarda les filles.
A cette heure, il avait encore le choix. Les prostituées étaient assez jeunes, plusieurs étaient jolies. Une rousse aux yeux verts le regardait intensément, curieuse, sans essayer de l'aguicher toutefois. Il lui demanda de monter avec lui. Avoir su qu'Henri Trudel avait déjà fait le même choix quelques semaines plus tôt, il aurait changé tout de suite. Renaud n'aurait pas aimé constater qu'il partageait encore avec lui un certain intérêt pour une femme, même s'ils s'agissait d'amours mercenaires. Dans l'escalier, le client regarda ses fesses bouger sous un léger peignoir. Elle était grande, toute mince.
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