Haute-Ville, Basse-Ville
possibilité de donner pour le soutien de personnes âgées dans le besoin ? La charité est un devoir pour tous les chrétiens.
Habilement, Elise contourna la difficulté, référa au Nouveau Testament pour contrer ces arguments. Après quelques minutes à l'entendre, Renaud n'était pas loin de penser qu'il irait au ciel du simple fait de payer des impôts pour financer ce système de pension !
Madame Daigneault retourna ensuite prudemment sur des sujets moins délicats de la politique libérale, et la visiteuse plaida avec la même efficacité redoutable. Son compagnon écoutait en mangeant des sandwichs. Il vint un moment où rester plus longtemps aurait été indélicat. La travailleuse d'élection donna le signal du départ en se levant. Leur hôtesse les reconduisit aimablement jusqu'à la porte.
— Je vous remercie de nous avoir reçus avec tellement de courtoisie, fit-elle. Peut-être préférez-vous le programme des conservateurs. Cette décision vous appartient. Cependant, j'aimerais insister sur l'importance d'aller voter.
Comme elle se mêlait là d'une question qui ne la regardait pas, elle ajouta en souriant :
— On ne peut pas laisser les hommes conduire seuls les affaires du pays. Vous savez combien ils ont du mal à seulement gérer un ménage.
— Quoique monsieur Daigle semble partager toutes vos autres convictions, je doute qu'il vous suive jusque-là.
C'était l'occasion pour Renaud de montrer s'il pouvait faire autre chose que mastiquer des sandwichs et boire du thé.
— Chère madame, j'ai vu des jeunes gens s'entre-tuer par milliers à la guerre, pour des motifs bien discutables. J'ai bien du mal à croire que le monopole des hommes sur la politique a eu de si bons effets dans le passé. Une participation féminine n'améliorera-t-elle pas les choses pour l'avenir ?
Sur ce, il serra la main de la jeune femme et se retrouva dehors. Alors qu'ils retournaient vers la voiture, il déclara :
— Vous auriez fait un bon avocat.
Il la vit rougir, flattée. Comme elle ne répondait rien, il ajouta encore :
— Croyez-vous que vos arguments la feront changer d'avis ?
— Elle a une belle grande maison et des domestiques, mais aucune opinion personnelle. Les meilleurs arguments du monde ne lui feraient pas abandonner les directives de son mari, ou de son curé.
— Tout votre travail serait inutile ?
L'homme démarra la voiture, quitta le bord du trottoir.
— Un jour, elle aura peut-être le désir de penser par elle-même. Ma visite y contribuera éventuellement. Déjà, le simple fait de voir une femme émettre son opinion devant un homme était nouveau pour elle.
— Ça, aucun doute, elle a été édifiée par mon silence.
— Vous êtes trop modeste.
Renaud eut un rire amusé. Son rôle lui paraissait tout à fait inutile.
— Vous faites cela tous les jours depuis le début de la campagne ?
— Tous les jours. J'aurai vu la grande majorité des femmes de la circonscription, au moment de l'élection.
Ils stationnaient bientôt devant une autre maison bourgeoise. Le thé et les sandwichs aux concombres se maté réalisèrent de nouveau sur un guéridon. Cette fois, l'homme participa à la conversation d'un ton mesuré, raisonnable, tout en laissant à sa compagne l'initiative de choisir les sujets. Ils visitèrent plus de maisons libérales que de maisons conservatrices. Quand, vers sept heures, le candidat, un vieux monsieur respectable, se joignit à eux, Elise devint plus discrète. De nombreux ménages de langue anglaise se trouvaient sur leur chemin. L'ancien officier fit un véritable effet.
Quand ils se quittèrent ce soir-là, sur le trottoir Renaud eut l'occasion d'échanger quelques mots avec la jeune femme.
— C'est une pitié que vous soyez née au Québec. Ailleurs au Canada, vous pourriez être la candidate, avec d'excellentes chances de succès, lui dit-il.
— Je pourrais aussi être candidate dans la province.
— Vos amis du Parti vous le permettraient-ils ?
— Sans doute, dans un coin marginal, admit-elle.
Les hommes du Parti libéral ne se résoudraient pas à l'idée de se priver d'un siège afin de donner une chance à une femme.
— Une circonscription perdue d'avance, où ils n'auraient pas l'impression de gaspiller le siège d'un de leurs copains, insista son collègue. Je trouve cela dommage. Vous valez mieux que la grande majorité
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