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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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je garde le livret.
    Gagnon reprit le volant après les salutations d'usage. Il lui fallait maintenant aller avertir les Germain de la découverte du corps de leur fille adoptive. Le détour chez le chef de police lui avait fait perdre une bonne heure, il s'en voulait un peu. Dans ces circonstances, mieux valait joindre la famille au plus vite. Par délicatesse, bien sûr, pour éviter qu'elle apprenne la nouvelle par des curieux ou, pire, des journalistes. Puis, il n'était pas sans intérêt d'analyser la réaction de proches apprenant la découverte du cadavre. L'un d'eux pouvait toujours se trahir sous le coup de l'émotion.
    Evidemment, ce qui devait arriver était arrivé. Trois voitures se trouvaient déjà chez les Germain, dont l'une portait une publicité du Soleil peinte sur les portières. Le vieux bonhomme, debout dans l'embrasure de la porte pour en interdire l'accès aux journalistes, semblait sur le point d'exploser. Pas tellement de douleur, semblait-il à Gagnon, mais de colère. Peut-être était-ce une réaction normale pour quelqu'un qui apprenait de la bouche de journalistes la mort de sa fille adoptive.
    Ryan avait calé un grand verre de Glenfiddich avant de remettre la chemise de son uniforme. C'était trop sérieux, il lui fallait prendre conseil. Il se mit au volant de sa Ford en maugréant. Dix minutes plus tard, le fonctionnaire stationnait devant une imposante demeure en pierre de la Grande Allée. Il lui en fallut presque autant pour convaincre le domestique venu lui ouvrir de l'autoriser à voir le propriétaire de la maison. Evidemment, un chef de police sentant le whisky passait difficilement la porte du procureur général de la province de Québec à neuf heures du soir, sans être annoncé. A plus forte raison si ce procureur était Philippe-Auguste Descôteaux, aussi titulaire du siège de premier ministre.
    Descôteaux arborait son air habituel d'aristocrate hautain. Cette morgue tenait à son héritage. Sa famille avait donné à la province un cardinal et un juge en chef de la Cour suprême. Maigre et sec, ses cheveux comme sa moustache étaient poivre et sel. Il ne portait pas un complet comme tout le monde, mais une redingote noire et un pantalon de laine gris. Des guêtres cachaient ses chaussures. Une cravate blanche rayée de gris, visiblement en soie, serrait son col de celluloïd aux coins cassés. Suivre toujours la mode de 1900 ajoutait à sa distinction.
    L'hôte conduisit le policier dans la pièce qui lui servait de bureau, au dernier étage de la tourelle flanquant le coin gauche de sa maison. Assis derrière un lourd meuble de chêne, il écouta religieusement l'histoire du policier. Le livret de banque se trouvait devant lui.
    —    J'ai demandé à mon officier de venir avec moi chez Trudel, tôt demain matin, termina-t-il.
    —    Vous avez bien fait. Mieux vaut tirer cela au clair tout de suite. Mais demeurez très discret. Je connais ce jeune homme, il ne peut pas avoir commis un crime comme celui-là. Une parole de trop et vous ruineriez sa carrière, tout comme celle de son père. On va faire une autopsie du cadavre ?
    —    Bien sûr. Chez Lépine, on a dû faire appel au docteur Grégoire. D'ailleurs, s'il se trouvait à la maison ce soir, il y a des chances pour qu'il ait déjà terminé. Je vais téléphoner demain matin pour avoir les résultats.
    —    Parfait, fit le premier ministre en rendant le livret au policier. Selon moi, Trudel n'a rien à faire dans cette histoire, mais venez me faire un rapport demain, après l'avoir vu.
    Il le reconduisit lui-même jusqu'à la porte.
    Au grand soulagement de Ryan, le premier ministre avait demandé de tirer l'affaire au clair. Il avait craint qu'il ne lui ordonne de l'étouffer. Il aurait accepté sans doute, mais couvrir une action aussi crapuleuse que le viol et le meurtre d'une jeune fille lui aurait répugné. Il se serait pourtant soumis, même si le premier ministre avait été conservateur, bien qu'il appuyât chaudement les libéraux depuis trente ans. Une histoire comme celle-là était bien trop importante pour y mêler la partisannerie. Dans un monde où les bolcheviques étaient partout, un drame de cette ampleur pouvait amener la révolution !
    Ses réflexions sur la Politique - celle avec un grand « P »
    - se poursuivirent, de plus en plus brumeuses à cause du Glenfiddich, jusqu'à minuit. En se couchant, Ryan n'était pas loin de penser que sa rencontre avec Descôteaux

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