Haute-Ville, Basse-Ville
avait sauvé le Québec catholique de la menace du communisme.
Après douze bonnes heures d'un sommeil réparateur, Renaud Daigle s'était levé avec le soleil. En se rasant, il prit une décision : il n'allait pas chercher à acheter une propriété, ses chances de rester à Québec pour une longue période étant trop minces. La ville était jolie, mais la vie risquait d'y devenir rapidement étouffante. Il voulait voir à l'usage. Aussi, mieux valait louer un appartement pour la prochaine année et se donner le temps de réfléchir.
Il n'était pas encore sept heures lorsqu'il se rendit au restaurant de l'hôtel. A la réception, il acheta un exemplaire des trois quotidiens de la ville, Le Soleil, L'Action catholique et L'Evénement. Dans Le Soleil, l'«organe du Parti libéral», assurait-on dans un coin de la page éditoriale, un titre attira son attention. Il se mit en devoir de lire l'article qui l'accompagnait :
UN MEURTRE EFFROYABLE COMMIS A QUÉBEC
Hier soir, un jeune garçon âgé d'une dizaine d'années, Gérard Fecteau, a découvert le cadavre de Blanche Girard, une jeune femme de Stadacona à la réputation sans tache. Le fait que le cadavre était dépouillé de ses vêtements laisse croire qu'elle aurait subi les derniers outrages avant d'être assassinée sans pitié.
Selon de nombreux témoins, le corps se trouvait dans un état de décomposition avancé. La jeune femme a été vue vivante pour la dernière fois samedi dernier. Même si les autorités religieuses de la ville ont souvent condamné avec insistance le manque de surveillance au parc Victoria, ce qui autorise une certaine jeunesse à se livrer à des excès condamnables sous le couvert des buissons, on comprend mal comment la victime a pu être agressée et tuée en un lieu aussi fréquenté. On s'explique encore plus difficilement pourquoi on a si tardivement trouvé son corps. Les autorités devront adopter des mesures afin qu'un événement semblable ne se répète plus jamais.
Par ailleurs, il nous a été donné d'apprendre du gardien du parc, Alcide Gauthier, que la police a entre les mains un document trouvé sur les lieux du crime. Cela lui permettra de mettre rapidement la main sur le coupable. Au poste de police on s'est refusé à tout commentaire, mais nous espérons tous que le coupable de ce forfait monstrueux connaisse bientôt toutes les rigueurs de la loi.
Renaud avait lu l'article en attendant qu'on lui apporte du thé et un copieux petit-déjeuner. «Tout ennuyeuse qu'elle soit, Québec n'est pas épargné par les histoires d'horreur de ce genre», se dit-il en soupirant. Le corps devait avoir été trouvé bien près de l'heure de tombée pour que les journalistes n'aient pu trouver plus de détails sur cette affaire. Sans doute la seconde édition du journal allait-elle l'exploiter plus à fond. Une curiosité morbide l'incita à regarder tout de suite l'article de L'Evénement, qui donnait encore moins de détails. Journal du Parti conservateur, il périclitait au même rythme que cette organisation politique. Il ne devait pas lui rester une bien grande équipe de reporters. Quant à L'Action catholique, un journal dont la mission consistait à tuer toutes les idées, sauf celles de l'Eglise catholique, en fait, il exploitait l'affaire dans une veine toute particulière :
NOUS VOICI DANS SODOME ET GOMORRHE
Une jeune fille qui se destinait à la vie religieuse a été retrouvée sans vie, hier, au parc Victoria. Tout porte à croire qu’elle a été brutalement violée avant d’être tuée. C'est au prix de sa vie que Blanche Girard a défendu sa vertu. Nul doute que son martyre lui vaudra la vie éternelle.
Le curé de Stadacona, l’abbé Melançon, confesseur de cette âme pure, nous a parlé avec beaucoup d’émotion de sa paroissienne, soulignant sa discrétion, son grand dévouement et surtout son extrême piété. Depuis des années, il fréquentait assidûment cette âme d’élite, guidant ses efforts vers la sainteté. Il nous a confié que Blanche Girard caressait depuis longtemps le rêve de se joindre à une communauté religieuse et se préparait attentivement à ce grand destin dans la prière et le recueillement. Un lâche assassin a détruit ce projet.
Voilà ce que nous sommes devenus. Les films, les journaux et la musique des Etats-Unis matérialistes et protestants ont sapé chez nous les vertus de piété, de chasteté et de soumission qui caractérisaient il y a encore peu de temps
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