Haute-Ville, Basse-Ville
Blanche Girard ?
Renaud hésita un long moment. Finalement, comme c'était la seule personne à qui il pouvait en parler, il se décida :
— J'ai du nouveau, en effet.
— Vous connaissez le nom du propriétaire du livret de banque ?
Son interlocuteur le regardait à la fois avec surprise et avec envie.
— Je connais son nom. Mais ce livret a été perdu par l'un des curieux du parc Victoria.
— Cette histoire du vol du livret n'a pas de sens. Vous savez autre chose ? Je suis sûr que vous savez autre chose, cela paraît sur votre visage.
Renaud le contempla avec curiosité.
— Ne me dites pas que mon visage est comme un livre ouvert. Je sais simplement qui est Julie.
La révélation en imposait à ce flagorneur. Celui-ci le regarda avec de grands yeux incrédules. Il murmura après un moment:
— Vous savez tout alors. Absolument tout. Comment avez-vous fait? Dites-moi les noms.
— Je bois rarement, je vais me coucher quand cela arrive, plutôt que de faire des discours politiques. Ce secret est en sécurité avec moi. Vous le confier nous mènerait à la catastrophe. Surtout, ce que je sais n'a aucun sens pour le moment.
Thomas Lavigerie n'allait pas prendre cette rebuffade pour une réponse définitive.
— Voyons, vous ne me ferez pas cela. Je vous ai dit tout ce que je savais.
— Vous ne saviez rien. Vous connaissiez l'existence d'un livret de banque dont il a été question dans Le Soleil, ce que le chef Ryan a confirmé à l'enquête. Tout le reste était une pure spéculation, empruntée à votre ami Raoul Richard. Car cet imprimeur a émis le premier l'hypothèse que Blanche connaissait quelqu'un parmi ses assaillants.
— Vous savez le nom du ou des coupables ?
L'avocat conservateur demeurait bouche bée.
— Présentement, je ne sais qu'une chose: une personne de cette ville permet de faire un lien entre la victime et des personnes en vue de la Haute-Ville, pour reprendre les mots de votre ami Raoul Richard. Je ne sais absolument pas si ces personnes sont impliquées dans sa mort. Cela me semble improbable, sinon impossible.
— Si vous me dites les noms, je pourrai enquêter de mon côté.
— Si je vous dis les noms, je les retrouverai dans une petite publication marginale, ou vous les lancerez du haut d'une tribune. Je ne crois pas que ces gens soient liés à cette affaire.
Il le laissa, fulminant, à la porte de côté de l'hôtel du Parlement et rentra chez lui. Fermer le caquet du trublion le mettait d'excellente humeur. Non seulement il était informé du nom du propriétaire du livret et de celui d'une personne connue de la victime et de lui, mais un autre élément le troublait fort: la maison de Château-Richer pouvait être le lieu du crime. Il demeurait cependant deux difficultés. D'abord, pourquoi ces jeunes gens auraient-ils fait cela? Ils pouvaient avoir tout ce qu'ils voulaient, y compris les femmes. Ensuite, pourquoi emmener le cadavre dans le parc Victoria, alors qu'il aurait pu être enterré sous une plate-bande du grand terrain de Château-Richer, être déposé dans une forêt, ou jeté au fleuve ?
Il allait voir Lara deux fois par semaine maintenant. Il ne la touchait plus, sinon il se serait senti coupable. Le client avait adopté une nouvelle approche : il téléphonait à Berthe les soirs de grande affluence afin de réserver ses services pour une heure. Comme cela, il lui procurait des pauses. Elle semblait apprécier. Ce que lui aimait moins, c'étaient les clins d'œil complices de la tenancière. Romantique, celle-ci devinait une idylle et mélangeait les rôles de vieille maquerelle et de mère d'une fille à marier.
Ce jeudi, Renaud monta à la chambre de Lara et la trouva un livre à la main. Entre eux, impossible de converser sur ses activités depuis leur dernière rencontre, alors il l'interrogeait sur ses lectures. Ce soir-là, l'homme n'écoutait aucune réponse. Il lui démangeait de poser des questions plus délicates. Il se décida enfin :
— Tu accepterais de me parler de certains clients de la maison ?
— Tu veux savoir jusqu'à quel point je suis déchue ?
Ce genre de réponse était prévisible. Elle avait les nerfs à vif.
— Je n'ai absolument rien de ce genre à l'esprit, lui dit-il en lui prenant la main. Je ne peux pas te dire pourquoi, mais tu dois me faire confiance. Je veux seulement savoir si tu connais quelques personnes.
Weitere Kostenlose Bücher