Haute-Ville, Basse-Ville
quantité de whisky avant de se coucher. Il ne dormit pas mieux pour autant mais, au moins, cela anesthésia sa colère.
Renaud faisait de son mieux pour chasser Blanche Girard de son esprit. Impossible de croire que des gamins île la Haute-Ville enlevaient et tuaient une jeune femme, avec un homosexuel comme entremetteur en plus. La victime se rappela à lui. A la fin du mois de février, les journaux libéraux constatèrent avec effarement qu'au mépris de la justice la plus élémentaire on avait relancé les folles hypothèses du mois de septembre. L'enquête on discovery avait pourtant été on ne peut plus claire: toutes ces histoires tenaient de la sottise, seule une stratégie criminelle du parti d'opposition, pou r discréditer les libéraux justifiait leur existence.
Les événements politiques se précipitaient. La loi des pensions de vieillesse adoptée par les Communes avec l'appui des progressistes avait été défaite par le Sénat à majorité conservatrice. Ce troisième parti retirait son appui au premier ministre King. Celui-ci n'avait d'autre choix que de retourner en élections: chacune des organisations fourbissait ses armes.
Parmi leur arsenal, les conservateurs hésitaient à placer l'affaire Blanche Girard. Dans un discours livré à Montréal lors d'une assemblée politique, Thomas Lavigerie accusa pourtant les libéraux au pouvoir à Québec d'avoir soustrait les coupables de ce meurtre à la justice. À la lecture des journaux, Renaud se souvint en souriant que l'avocat avait affirmé ne plus vouloir se mêler de cela à cause de sa santé déclinante. A ce moment, le curieux personnage lui confiait même la mission de faire avancer les choses. Devant son inaction, l'autre ressentait probablement la nécessité de reprendre le flambeau.
Le Soleil souligna avec horreur une autre intervention. Un petit journal tout à fait marginal de Montréal, The Spike, offrait cinq mille dollars pour la capture des assassins de Blanche Girard. Ce faisant, il racontait toute l'histoire à sa façon, accusant lui aussi le Cabinet, premier ministre en tête, de soustraire les coupables à la justice. Pourquoi un journal anglais de Montréal proposait-il de l'argent aux personnes susceptibles d'aider au règlement de l'affaire ? Conséquente, cette somme pouvait raviver des souvenirs et, éventuellement, relancer l'enquête. Toutefois, The Spike risquait peu de toucher des témoins potentiels, et aucun journal de la ville de Québec ne commit l'imprudence de relayer la nouvelle.
L'organe du Parti libéral y fit pourtant allusion au moment où le rédacteur de cette mystérieuse petite feuille fut sommé de comparaître devant l'Assemblée législative le dernier jeudi de février, pour subir un véritable procès.
Par un curieux hasard, les procédures relatives à l'affaire Blanche Girard se dérouleraient encore le lendemain du cours de Renaud. Le professeur héritait de la responsabilité de répondre à ses étudiants désireux de vérifier ses connaissances de la procédure, ou d'augmenter les leurs. Aussi, plutôt que de répondre dix fois à la question: «M'sieur, c'est quoi une convocation devant l'Assemblée ? », il en fit l'objet d'un aparté, puisque cela touchait un peu au droit constitutionnel.
— Si vous allez demain assister aux débats de l'Assemblée, vous verrez une chose assez rare. La Chambre peut convoquer devant elle une personne qui lui a grossièrement manqué de respect. Elle peut même l'emprisonner pour cela, jusqu'à la fin de la session en cours.
Voilà qui était assez clair, mais il n'échapperait pas aux questions. La première vint d'Henri Trudel :
— Monsieur Daigle, savez-vous si on a déjà emprisonné quelqu'un pour cette raison au Québec ?
Habituellement, l'étudiant espérait piéger le professeur. «Je suis désolé, je ne sais pas » le comblait de joie. Renaud ne lui fit pas ce plaisir :
— Cela n'est jamais arrivé au gouvernement du Québec. Cependant, dans les années 1830, le fils de l'écrivain Philippe Aubert de Gaspé a été condamné pour avoir insulté un député. A peine sorti de prison, il est allé répandre une substance très malodorante sur le poêle de l'Assemblée du Bas-Canada, forçant un arrêt momentané des débats pour ouvrir les fenêtres. Ensuite, le farceur se cacha dans la seigneurie de son père, à Saint-Jean-Port-Joli.
Dans l'hilarité générale, même Henri Trudel parut satisfait de la réponse.
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