Haute-Ville, Basse-Ville
Je parie que Jones a indiqué ainsi le prix de son silence.
Un comportement aussi tordu demeurait possible. Renaud conclut :
— Cela n'a pas marché dans ce cas-ci. Le bonhomme se retrouve sous les projecteurs.
— Il n'a aucun renseignement précis. C'est souvent le cas, je suppose. L'important dans ce commerce n'est pas de savoir quelque chose. Il suffit de semer l'inquiétude chez sa victime. Le sentiment de culpabilité et la peur du scandale font le reste.
— Donc, Descôteaux ne ressentirait ni culpabilité ni peur, puisqu'il répond si fermement à la menace.
L'avocat était heureux de mettre cela sous le nez de son interlocuteur.
— Plus probablement, il sait que ni moi ni ce journaliste ne savons quelque chose de précis.
Les procédures commencèrent, guère compliquées. Robert Jones se retrouva à la barre près de la porte de l'Assemblée. Descôteaux résuma en une demi-douzaine de phrases les accusations contenues dans The Spike. Il lui demanda des preuves pour les étayer.
— Nous sommes dans une société démocratique, répondit le journaliste. La presse a le droit de publier des articles sans rendre de comptes aux personnes au pouvoir.
C'était la seule défense possible.
— Une société démocratique ne peut tolérer de voir ses institutions les plus fondamentales traînées dans la boue de façon irresponsable.
Descôteaux disait cela sans s'énerver, sans trahir la moindre inquiétude.
— Vous avez le droit de dire dans vos journaux que vous n'aimez pas mes articles. Vous ne pouvez pas contrôler le contenu de l'information.
— Sans aucune preuve de ce que vous avancez, ce n'est plus de l'information, mais de la diffamation.
— Poursuivez-moi en diffamation alors.
Robert Jones affichait un immense mépris pour le premier ministre, comme pour l'Assemblée. Ce dernier aurait sans doute eu gain de cause devant un tribunal civil. Toutefois, il ne cherchait guère à obtenir une compensation financière.
— L'Assemblée a l'autorité requise pour traiter cette question.
Descôteaux enchaîna en se tournant vers le président de l'Assemblée :
— Je propose que monsieur Robert Jones soit incarcéré jusqu'au dernier jour de la législature.
Chacun des députés présents avait déjà devant lui une copie écrite de la proposition. Le vote s'effectua très rapidement. La plupart des conservateurs votèrent avec les libéraux. Traîner les institutions dans la boue ne servait les intérêts d'aucun politicien, quelle que soit son allégeance. Robert Jones sembla tout surpris de voir les événements se précipiter. Il allait passer les prochains mois à la prison des plaines d'Abraham. En sortant il parlerait bien haut des droits de la presse dans une société démocratique. Mais il n'aborderait plus l'affaire Blanche Girard.
— Je ne m'imaginais pas les choses ainsi, murmura Renaud dans le corridor. Je rêvais de longs débats sur la liberté de presse. Vos amis conservateurs sont restés très silencieux.
— Ce type est répugnant pour les deux partis. Si on prend l'habitude de lancer des accusations comme celles-là contre le gouvernement, sans preuves, les conservateurs souffriront eux aussi de la situation.
— L'institution parlementaire prévaut sur les intérêts de parti. Je suis tout à fait de cet avis, mais je m'étonne de vous l'entendre dire. Vous êtes devenu très raisonnable.
Lavigerie lui adressa un sourire contraint avant de protester :
— Ne prenez pas les histoires de vos amis sur mon compte trop au sérieux. Ils aiment me décrire comme Attila le Hun. Nous n'avons pas de preuve de ce complot.
— Cela ne vous a pas empêché de dire la même chose que Robert Jones lors d'une assemblée politique à Montréal.
— L'excitation du moment nous emporte parfois, puis on regrette ensuite. Ajoutez à cela les quelques verres destinés à diminuer la nervosité avant de prononcer un discours. Je me suis réveillé le lendemain avec son nom en première page des journaux. La cérémonie d'aujourd'hui m'était un peu destinée. Si je n'avais pas eu un laissez-passer du chef de l'opposition, je l'aurais reçu de Descôteaux !
— Il s'agirait d'un avertissement pour vous dire de faire attention ?
Lavigerie fit signe que oui. Il ne pouvait pas s'en aller sans poser une dernière question :
— Avez-vous appris des choses sur l'affaire
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