Haute-Ville, Basse-Ville
à articuler :
— Est-ce qu'il y a un problème ?
Devant une inquiétude si nue, Renaud se sentit coupable.
— Mais non, pas du tout. Je m'excuse de vous avoir laissé penser cela. En fait, je voulais savoir si vous saviez quelque chose de la dernière enquête de votre mari. Le chef Ryan lui avait donné quelques jours de congé avant... avant qu'il ne tombe malade. Il s'est sans doute occupé de Blanche Girard ?
L'épouse respira mieux. Cet avocat avait parlé au chef Ryan, il désirait des renseignements sur cette malheureuse affaire. Des articles de journaux évoquaient encore régulièrement ce crime, s'étonnaient de l'absence de toute arrestation. Sa voix affichait une certaine assurance au moment de répondre :
— Oui, cette histoire le préoccupait beaucoup. Cela a beaucoup nui à sa santé. Vous savez ce qui lui est arrivé ?
— Oui, je sais. C'est affreusement triste. Je suis allé le voir à l'hôpital. Il vous a parlé de cette affaire ?
Cet homme s'était donné la peine d'aller voir son mari à l'hôpital. Elle ressentit une véritable sympathie pour lui. Maintenant désireuse de l'aider, elle dut pourtant convenir :
— Il ne me parlait pas de ses enquêtes. En réalité, je ne voulais pas connaître les détails de cette histoire affreuse.
— Je vous comprends. Moi aussi j'ai du mal à imaginer que des êtres humains fassent des choses comme cela. Votre mari craignait de voir les coupables échapper à la justice. Il n'a pas laissé des notes écrites, un rapport ?
— Vous le savez sûrement, il a remis son rapport au chef de police.
— Bien sûr.
Il aurait dû y penser. Renaud se sentait mal à l'aise de manipuler ainsi les bons sentiments de cette femme. D'un autre côté, il devait savoir.
— Son rapport n'était pas bien détaillé. Je me suis demandé s'il n'y avait pas des notes.
— Il n'aimait pas le côté paperasse de son travail. Ses rapports devaient être bien courts... Je ne pense pas qu'il y ait des notes.
Elle n'était pas certaine du sens à donner à ce mot, dans ce contexte. Elle continua néanmoins :
— Il travaillait toujours avec de petits carnets dans ses poches, afin de tout écrire. Il craignait d'oublier. Vous savez, dans sa condition...
L'épouse marqua une pause assez longue, puis murmura:
— Au moment de rédiger son dernier rapport, il a mis ces carnets autour de la machine à écrire. Il occupait toute la table de cuisine.
Renaud ressentit une émotion étrange, un mélange de joie et de grande tristesse.
— Vous possédez ces carnets ? Cela me rendrait service de vous les emprunter.
— Je ne sais pas si je peux...
Elle eut un moment de doute, puis cela lui sembla tout à fait naturel. Cet homme venait de la part du chef Ryan.
— Je reviens tout de suite.
Il ne lui fallut pas plus de deux minutes. Elle revint avec une boîte à chaussures en carton contenant tous les papiers importants du couple. Quatre petits carnets avec des couver tures noires paraissaient incongrus parmi les autres documents. La femme les lui tendit en disant :
— Il y en a sûrement d'autres au poste de police. Il avait ceux-là le jour avant...
Elle s'arrêta un moment, des larmes quittèrent le coin dises yeux, glissèrent sur ses joues. Elle se reprit après avoir échappé un long soupir :
— Le jour où il a écrit son dernier rapport.
— Voulez-vous que je vous les rapporte? Je n'en aurai pas besoin longtemps.
— Ce n'est pas nécessaire. En réalité, j'aimerais mieux ne pas les avoir ici. Cela ne concerne pas notre vie, seulement cette enquête.
— Je vous remercie beaucoup, madame Gagnon.
Elle allait bientôt éclater en sanglots. Il s'enfuit sans lui serrer la main, un peu comme un voleur.
Madame Gagnon resta un long moment assise au bord de son fauteuil, caressant des doigts le contrat de mariage, les quelques autres documents les concernant, elle, son mari, les enfants. Après avoir rangé la boîte à sa place, un doute s'insi nua dans son esprit. Au début, ce ne fut qu'un petit malaise, un inconfort. Bientôt, l'évidence s'imposa à elle: pourquoi un professeur de droit de l'Université Laval voulait-il les carnets de son mari ? Maurice était policier, la Ville embauchait ses propres avocats.
Plus le temps passait, plus son malaise croissait. Ce fut avec l'inquiétude d'une enfant troublée qu'elle téléphona au
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