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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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avec une honourable discharge. Je n'étais plus bon à grand-chose sur un champ de bataille.
    —    Quelle affreuse façon de faire la guerre, déclara Elise.
    Par la suite, lui sembla-t-il, elle le tint à l'œil, pour vérifier son état de délabrement physique. Madame Trudel paraissait le soumettre au même genre d'examen. Le jeune homme se concentra de son mieux sur le second service tout en essayant de se passionner pour les conversations qui reprenaient autour de lui. Quand elles moururent lentement, Antoine Trudel se fit un devoir de relancer la discussion en interrogeant cette fois l'autre élément étranger présent à cette table, Helen McPhail :
    —    Mademoiselle, que comptez-vous faire au cours des prochains jours ? Ma femme et ma fille pourront-elles compter encore sur votre charmante présence ?
    —    Je dois retourner chez ma tante, à Québec. Elle me réclame. Vous savez qu'elle est très malade...
    —    Elle veut devenir députée, l'interrompit Romuald Lafrance avec un rire niais.
    —    Quel imbécile, murmura son père, assez fort pour que tout le monde entende.
    Quoique le verdict fût largement partagé, la remarque était plutôt déplacée. Un lourd malaise pesa sur la table.
    —    Romuald se trompe, fit la jeune femme avec tout le charme, considérable, dont elle était capable. Je veux aussi profiter de ma présence à Québec pour participer au pèlerinage annuel.
    Voyant une question dans son regard, Élise expliqua à Renaud :
    —    Depuis 1921, toutes les femmes du Canada peuvent voter lors des élections fédérales, et lors de toutes les élections provinciales, sauf au Québec. Alors des associations féminines de la province envoient des déléguées à Québec tous les ans, pour réclamer le droit de vote. Cela revient avec la régularité des pèlerinages à Sainte-Anne-de-Beaupré organisés par l'Église.
    Renaud se priva du plaisir de dire combien cette revendication lui paraissait très raisonnable. Il avait assez attiré l'attention sur ses convictions politiques ce soir-là. Romuald Lafrance avait décidé de se donner en spectacle à son tour :
    —    De toute façon, les femmes ne veulent pas du droit de vote.
    —    Descôteaux présentera sans doute cet argument, expliqua calmement Elise. Je ne sais pas qui lui glisse à l'oreille des âneries pareilles, mais voilà deux élections fédérales auxquelles les femmes du Québec participent en grand nombre. Si elles ne voulaient pas du droit de vote, elles resteraient chez elles, comme les prêtres le leur conseillent.
    La réplique habituelle du premier ministre à la revendication féminine risquait fort d'avoir été concoctée par quelqu'un se trouvant autour de la table, un membre de sa famille, peut-être. Cela rendait la remarque plus délicieuse
    encore.
    —    Ouais, elles seraient mieux de rester chez elles à s'occuper de leurs maris et de leurs enfants. Ce serait plus conforme à leur nature, renchérit le fils.
    Tous les patriarches du Québec et d'ailleurs en Occident avaient bâti une argumentation très fine sur la nature féminine, selon laquelle les représentantes du sexe faible ne pouvaient se réaliser que dans le mariage et la maternité. Celles qui réclamaient une participation à la vie politique ou à la vie économique affichaient à la vue de tous une anormalité, une monstruosité: elles refusaient d'accomplir ce que Dieu, ou la nature, attendait d'elles.
    Les paroles d'Arthur Lafrance, lancées à la tête d'une femme de vingt-six ans sans mari ni enfants, étaient lourdes de sous-entendus. Contre toutes ses résolutions de l'instant d'avant, Renaud se sentit l'âme chevaleresque, enfourcha son cheval blanc et partit à la défense de sa voisine sans même se demander si elle pouvait se défendre elle-même :
    —    Pendant toute la guerre, les femmes de Grande-Bretagne, de France et d'Allemagne ont fait fonctionner ces pays au moment où les hommes étaient en grande majorité en uniforme. Il est difficile après cela de donner crédit aux affirmations sur leur incapacité à faire autre chose qu'élever des enfants. Ces arguments sont tout à fait saugrenus.
    Il se mérita un regard reconnaissant de la part d'Elise ; de Helen aussi, lui sembla-t-il, mais madame Trudel fronça les sourcils.
    —    C'étaient des temps exceptionnels, plaida-t-elle.
    La pauvre bourgeoise imaginait sa fille en bleus de travail en train d'huiler la locomotive

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