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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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même envie de citer un article de L'Action catholique, selon lequel l'automobile risquait de devenir «le tombeau de la vertu de la femme canadienne-française ».
    —    Maintenant que nous savons toutes où se trouvent ses blessures de guerre, nous connaissons les endroits où frapper s'il se montre trop entreprenant, fit Helen en riant.
    Visiblement, elle ne craignait pas ce grand garçon à lunettes. Bien qu'elle comprît les réserves de sa fille, madame Trudel ne pouvait refuser de rendre ce service à son invitée. Un peu plus tard, Renaud vint serrer les mains. Les vieilles dames lui promirent toutes de le recevoir à souper chez elles, à Québec, un jour prochain. Les plus jeunes lui réservèrent leur meilleur sourire, pour des raisons bien différentes. Le couple Trudel le reconduisit à la porte. Après avoir entendu encore une fois ses remerciements pour l'invitation, madame Trudel transmit la demande de Helen.
    — Oui, bien sûr, avec plaisir. Vers midi, cela me convient tout à fait.
    Il afficha un sourire béat: décidément, la soirée avait été meilleure qu'il ne l'avait cru au premier abord.

Chapitre 8
    Il se trouvait toujours dans l'enfer du front belge. La majorité de ses hommes ayant été tués ou blessés lors de la dernière attaque, des recrues comblaient les vides. La nouvelle qu'on lui avait donné une médaille pour la destruction du nid de mitrailleuses n'avait soulevé aucun enthousiasme au sein du peloton. La nuit, il les entendait raconter aux nouveaux l'histoire de Timmy Jordan. Il suscitait un sentiment unanime : une haine farouche.
    Ce sentiment paraissait si injuste à Renaud: il aimait ces garçons, des ouvriers et des paysans. Son devoir était de les mener à la mort, tous ses contacts avec eux étaient empreints de gravité. Eux prenaient son attitude pour de la froideur et du mépris. A l'opposé, la plupart de ses collègues britanniques considéraient les soldats comme du bétail, exprimaient cruellement leur indifférence quant au sort des hommes de troupe quand ils se trouvaient au mess des officiers, mais ils plaisantaient avec eux, les traitaient avec condescendance. Leur mépris enrobé de familiarité leur valait d'être aimés de leurs hommes; le respect et l'amour de Renaud, mêlés de maladresse et de gêne, lui valaient d'être haï.
    Une nouvelle fois, après six semaines d'un calme relatif, il lui fallut les conduire à l'attaque. Il fit face à la même panique chez certains, retrouva les mêmes arguments menaçants pour les faire sortir de la tranchée. Cette fois, il n'eut à tramer personne de force. Ils avancèrent sous le feu de l'ennemi, sans essuyer trop de pertes, Renaud au milieu du peloton. Il se retournait souvent pour s'assurer que les retardataires ne tournent pas les talons pour aller se cacher. Il faisait de grands
    gestes avec son revolver en criant :
    —    Plus vite, avancez plus vite !
    Puis il faisait de nouveau face aux lignes ennemies.
    Il sentit une brûlure à son flanc gauche et vit le sol venir vers son visage. Avant de perdre conscience, il se dit: «Ce n'est pas plus difficile que cela ? » Il laissa son esprit vagabonder vers Québec, sa mère, sa sœur, puis il sombra dans un trou noir. Il eut l'impression de se voir lui-même, face contre terre, un petit trou rouge dans le dos, à la hauteur des premières côtes. L'un de ses hommes s'était fait justicier. Le taux de mortalité chez les petits officiers - lieutenants, capitaines - était effarant et chacun se doutait qu'il tenait autant aux règlements de comptes au sein du peloton qu'aux balles allemandes. Près de son propre corps, Renaud vit aussi un autre soldat debout, les tripes pendant sur les cuisses. Timmy Jordan le contemplait. Mort depuis des semaines, il dit de sa bouche décharnée :
    —    Ce ne sera pas cette fois-ci.
    Renaud se redressa dans son lit en hurlant. Il lui fallut un moment avant de reprendre tout à fait ses esprits. Sa chambre au Manoir Richelieu était très sombre. Il alluma la lumière, entassa les oreillers derrière son dos et resta assis au milieu du lit, attendant le lever du soleil. Il se rendormit au moment où les premières lueurs du jour blanchirent les rideaux à la fenêtre. Comme il regrettait d'avoir mis son uniforme pour se rendre à ce souper! Cela devait avoir réveillé ses fantômes.
    Son costume de lin et son chapeau de paille lui parurent infiniment plus confortables que son accoutrement de la veille! Renaud

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