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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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pulpe.
     
    Au pressoir des Métaz, qui traitaient aussi la vendange de quelques petits vignerons, Blanchod faisait fouler et presser chaque soir quatre-vingts brantes de quarante litres. Déjà, le jus de l’année s’écoulait dans cuves et tonneaux. Sortis des caves, tous ces vases, comme les nommaient les anciens, avaient auparavant été immergés quelques jours dans le lac ou remplis d’eau, afin que douves et fonds s’imbibent, gonflent, se joignent, pour ne laisser aucune fente par où pourrait fuir le vin. Les hommes devaient passer une partie de la nuit au pressoir, à fouler la grappe en la piétinant dans la maie avant de serrer à force, en poussant comme galériens leur rame, les leviers de l’énorme vis de bois.
     
    Les épouses avaient déjà préparé un copieux repas. Le dernier char de la journée était descendu des vignes. Les dernières brantes jetées dans la maie, le pressage en train, les femmes servaient les fouleurs aux chevilles empesées de moût, les tâcherons harassés puis les vendangeuses aux reins douloureux. La fatigue imposait silence aux hommes et le seul bruit des cuillères dans les écuelles conférait au lieu une ambiance de réfectoire monacal. Tous, croyait-on, ne pensaient qu’à dormir quelques heures quand, soudain, un vieux charretier sortait un flageolet, un journalier fribourgeois accordait sa viole et plusieurs se mettaient à chanter le Ranz des vaches , entonné par un berger venu du pays d’En-Haut pour se faire quelques sous. La fatigue oubliée, les couples se levaient pour danser autour du pressoir d’où montait, enivrant et douceâtre, le fumet de la grappe écrasée.
     
    Au petit matin arrivait l’équipe chargée de desserrer la vis de la presse, d’enlever à la pelle le moût tassé, que l’on mettait à macérer avec de l’eau et du sucre dans un grand tonneau et qui fournirait la piquette, boisson offerte toute l’année aux ouvriers agricoles.
     
    On reconnaissait partout, à travers le vignoble comme en ville, le dernier char de la vendange. Décoré d’un gros bouquet de fleurs des champs et suivi des vendangeurs et vendangeuses portant hottes ou seilles, l’attelage recevait, sur le chemin du pressoir, les acclamations des Veveysans, comme s’il eût été le carrosse de Bacchus. La vigne, une fois encore, avait livré son sang en échange de la sueur de ceux qui, jour après jour, l’avaient soignée, protégée, embellie, promise à toutes les célébrations. Ce soir-là, on dressait partout des tables devant les caves et les propriétaires offraient un grand dîner à ceux qui, pendant des jours, avaient cueilli, sur les parchets, le raisin mûr.
     
    Comme chaque année, Charlotte Métaz accompagna son mari et présida la table d’honneur autour de laquelle se trouvaient, au coude à coude et sans souci d’étiquette, les parents, les amis, les passants. On la vit égrapper au dessert le raisin de Belle-Ombre, plus doux que celui des autres vignes. Le fruit avait, cette année-là, pour elle seule, un goût de péché consommé.
     
    Jamais Guillaume n’avait paru aussi heureux. Tout en commentant la générosité de la récolte, il posait sur sa femme des regards attendris et, quand fut venu le moment du petit discours de remerciement, il ne put s’empêcher de dire :
     
    – L’an prochain, je puis déjà vous annoncer, mes amis, que nous aurons avec nous un petit vendangeur de plus !
     
    – Ou une vendangeuse, dit Flora Baldini pour contrarier Métaz.
     
    Toutes les têtes se penchèrent vers Charlotte, qui se serait bien passée de pareille publicité.
     
    Après le repas, on dansait traditionnellement le picoulet, une danse qui se terminait en farandole à travers la ville et que conduisaient l’hôte et l’hôtesse. Charlotte ne se déroba pas à ce devoir mais, après quelques pas avec Guillaume, demanda la permission de s’asseoir, ce qui ne surprit personne.
     
    Chantenoz, qui ne participait jamais à ce genre d’agapes, apparut fort à propos pour reconduire M me  Métaz chez elle, Guillaume se devant à la fête et à ses invités.
     
    – Ne sois pas long, je compte sur toi pour me faire danser, cria Flora à l’adresse de Martin.
     
    – Je puis rentrer seule. Tu devrais rester avec Flora, dit Charlotte.
     
    – Oh ! elle ne manquera pas de danseurs. Le fils du boulanger, entre autres. Il la couve de ses yeux globuleux, que c’en est indécent, siffla le poète.
     
    Charlotte se mit

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