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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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séparant les mariages des naissances, lui feraient des compliments pour cette consécration tardive d’une heureuse union de trois années.
     
    Le samedi après le départ de Blaise, elle s’était rendue, comme souvent, chez sa mère, à Échallens, et avait fait ce que les bigotes appelaient une bonne confession. À l’aveu du péché d’adultère, le prêtre avait eu un petit « tst-tst » agacé et désapprobateur. Il avait même tergiversé pour accorder l’absolution, avant d’infliger à la pénitente la récitation du chapelet pendant une semaine, à genoux, devant l’image de la Vierge Marie ! Charlotte avait dû promettre de ne plus transgresser le neuvième commandement. Au jour de l’absolution, elle ignorait encore les conséquences de sa conduite. N’étant plus en état de péché mortel quand elle avait compris qu’elle était enceinte, elle considérait l’enfant à naître comme absous avant que d’être annoncé ! C’était là une commode interprétation du pardon que Charlotte prenait avec sa conscience.
     
    Dès lors que toute la maisonnée fut dans la confidence, Polline, à la demande de Guillaume, redoubla d’attentions afin d’éviter tout effort superflu à la future mère. Flora fut invitée à venir chaque après-midi à Rive-Reine, pour veiller de plus près sur son amie, et le futur père, dont les connaissances en matière de grossesse étaient fort limitées, se retint désormais de tout rapprochement amoureux avec sa femme. Il eut à cela un certain mérite, car, depuis l’été, l’épouse, jusque-là plus soumise que consentante, avait accueilli avec un entrain plaisant les hommages réitérés de son mari. Comme Charlotte l’avait souhaité, Guillaume mettait sa perspective de paternité sur le compte d’une harmonie sexuelle qui avait été longue à se manifester. Propriétaire de sa femme comme de ses vignes, Guillaume vendangeait toute la journée et, le soir, célébrait sur tous les tons son bonheur. Se souvenant de sa hantise inexprimée d’avoir épousé une femme stérile, il lançait parfois à la future mère, avec un clin d’œil qui se voulait grivois : « Tu vois, c’est ce que je disais depuis notre mariage : il faut planter souvent pour récolter quelquefois ! »
     
    Le seul membre du cercle Métaz qui ne mêla pas ses compliments au touchant concert des congratulations fut Martin Chantenoz. Il imagina avec anxiété le corps de sa sylphide déformé par ce qu’il osa nommer « la hideuse protubérance de l’enfantement ». Intellectualisant toutes les données de la vie, il proclamait que certaines femmes ne doivent pas procréer. Que la beauté ne peut sacrifier aux lois ordinaires de la génétique.
     
    – Un être comme Charlotte devrait avoir des enfants sans les faire ! finit-il par lancer, au cours de la veillée où M me  Métaz annonça qu’elle serait mère au printemps prochain.
     
    Toute l’assemblée s’esclaffa et Blanchod, qui ne laissait jamais passer une occasion de se moquer des papistes, riposta :
     
    – Seul l’archange Gabriel peut annoncer de tels miracles… et encore, quand le Saint-Esprit s’en mêle !
     
    – Laisse l’archange Gabriel dans son ciel, ordonna Guillaume, qui détestait qu’on ridiculisât les croyances de Charlotte.
     
    – Dans sa caserne, veux-tu dire ! Gabriel était un militaire, observa Charles Ruty.
     
    Cette réflexion déclencha de nouveaux rires et mit Charlotte d’autant plus mal à l’aise qu’elle crut voir une tendre ironie dans le regard de Flora.
     
    Martin Chantenoz se contenta de hausser les épaules. Il détestait ce genre de conversation, où les gens s’ingénient à faire assaut d’esprit. Doué d’une acuité de perception maladive, attentif aux plus ténus frissons du cœur, sensible à la moindre égratignure de l’âme, il se délectait de ses blessures d’amour-propre, se complaisait dans son incapacité de partager les sensations épaisses des autres. Impropre à tout commerce humain banal, il vivait dans sa tête, s’étant créé un monde irréel, un univers de passions contenues, de sentiments secrets et raffinés. Il percevait, avec une joie amère, dans le croassement d’un corbeau au crépuscule le fracas d’un torrent sauvage dans les solitudes alpestres, le hurlement de la bise noire qui gelait les vignes, la plainte des âmes en peine sœurs de la sienne. Une tempête sur le lac et les lourds brouillards de novembre

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