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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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plaisait guère, se résigna à cette présentation, qu’elle jugeait déplacée.
     
    Au commencement du repas, Axel apparut dans les bras de sa nourrice, fort éveillé et manifestant son étonnement, à la vue de tant de visages levés vers lui, par de petits cris et des remuements vifs des mains.
     
    – C’est la présentation de Jésus au… pressoir ! ironisa Chantenoz, déjà éméché.
     
    Il s’attira les regards réprobateurs de Guillaume qui, ayant réclamé le silence en faisant tinter son verre avec son couteau, donna la parole au pasteur, convive de droit à toutes les célébrations de la famille Métaz. Le digne homme, père de cinq enfants, s’éclaircit la voix et récita une phrase de l’épître du dimanche dans l’octave de la Nativité :
     
    – « Mes frères, tant que l’héritier est encore enfant, il ne diffère point du serviteur, quoiqu’il soit le maître de tout ; mais il est sous la puissance des tuteurs et des curateurs jusqu’au temps marqué par son père. »
     
    Puis, après un silence, il reprit :
     
    » Axel, fils de Guillaume, héritier de notre foi, sera un jour, au temps marqué par son père, maître des vignes. Fidèle serviteur de Dieu et bon vigneron, il présidera ces agapes. C’est le vœu que tous nous formons. Amen.
     
    Quand cessèrent les applaudissements et les murmures approbateurs de l’assistance, Martin Chantenoz se tourna vers Charlotte, que ce cérémonial agaçait.
     
    –  Maxima debetur puero reverentia 12 , dit-il, citant Juvénal.
     
    Avant que la nourrice ne ramène l’enfant à Rive-Reine, Guillaume voulut qu’on pressât un grain de raisin sur les lèvres de son fils, afin qu’il sût le goût du jus de la vigne. Charlotte, ne pouvant s’opposer à ce baptême païen, réclama du raisin de Belle-Ombre.
     
    – Il est moins acide, dit-elle, pour justifier cette exigence.
     
    Elle lut, dans le regard amusé de Flora Baldini, que son amie devinait le symbole impur et sibyllin attaché à ce choix. Guillaume, lui, en fut un peu vexé. Il crut que sa femme tenait à ce que le premier raisin goûté par Axel fût des Rudmeyer et non des Métaz !
     
    L’enfant aurait bien avalé la pulpe au risque de s’étouffer tant il avait de vitalité et d’appétit. Quand il eut disparu dans les bras de sa nourrice, la femme du pasteur se pencha vers Charlotte et son mari :
     
    – Vous avez là un bien bel enfant, au regard quasi surnaturel, plein de lumière. Les gens s’arrêtent à une anomalie, sans comprendre qu’elle est signe d’une différence voulue par Dieu. Donnez vite à votre Axel des frères et sœurs et prions Dieu qu’il leur accorde d’aussi beaux yeux !
     
    Cette réflexion laissa Charlotte pensive jusqu’à la fin de la fête. Plus tard, prétextant la fatigue, elle se refusa à Guillaume et ne s’endormit qu’au petit matin. On ne cesserait donc jamais, dans cette ville, de parler des yeux d’Axel !
     
    Elle retrouva son humeur sereine quand Flora, quelques jours plus tard, lui apporta une lettre de Blaise de Fontsalte. L’officier racontait, comme Charlotte le lui demandait dans ses propres missives, la vie de Paris. Il évoquait théâtres, res taurants à la mode, salons huppés, plus rarement les toilettes féminines et omettait, en revanche, toute allusion à ses visites, en compagnie du général Ribeyre, aux aspirantes courtisanes. Il était allé admirer, au Louvre, comme beaucoup de Parisiens, le tableau de David représentant Bonaparte au Grand-Saint-Bernard. « L’histoire retouchée par les artistes gagne en charme édifiant et en séduction ce qu’elle perd en exactitude. Le passage du Saint-Bernard, chère Dorette, ce n’était pas tout à fait ça ! » écrivait-il. Au terme de sa lettre, Fontsalte donnait des nouvelles de son ordonnance, Jean Trévotte, dit Titus, et le disait « encore capable, malgré sa jambe de bois, de courser la méchante Flora ! ». Dans un post-scriptum, il prévoyait une intervention de l’armée française en Suisse, si les affrontements entre patriotes et conservateurs continuaient, ce qui, espérait-il, le « ramènerait à Belle-Ombre ».
     
    Bien que la situation politique du pays continuât à se dégrader tandis que se multipliaient les affrontements entre factions, l’armée française, dont plusieurs unités étaient encore cantonnées en Suisse, ne semblait pas pressée d’intervenir. Bonaparte attendait son heure, le moment

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