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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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qu’on m’a laissé entendre, expliqua Mathilde.
     
    – Et comment M me  de Staël a-t-elle appris le mariage de M. Constant ?… Par une commère, sans doute !
     
    – Tu n’y es pas du tout ! Elle l’a appris par l’épouse, tout bonnement. M me  de Hardenberg, ou plutôt M me  Constant, invita Germaine à lui rendre visite à Sécheron, près de Genève, et là, entre la poire et le fromage, elle lui annonça tout à trac qu’elle était la légitime épouse de son amant !
     
    – J’imagine la gêne de M. Constant ! Quelle scène !
     
    – M. Benjamin Constant, qui n’avait pas eu le courage d’annoncer lui-même son mariage à Germaine, s’était éclipsé. Il était à Ferney, pendant que ces dames s’expliquaient à Sécheron ! Vois-tu, Charlotte, les hommes les plus courageux à la guerre sont d’une incompréhensible lâcheté en amour. Ils préfèrent les batailles aux ruptures, la mitraille les effraie moins que les lamentations d’une maîtresse, ils sont prêts à verser leur sang pour ne pas voir couler de larmes. Pris entre deux feux, ils avancent la tête haute, pris entre deux femmes, ils reculent chapeau bas ! Pour ne pas en faire souffrir une, ils trompent les deux et cela fait trois malheureux !
     
    – On peut se taire, même mentir, pour ne pas faire souffrir quelqu’un… Le silence charitable, le pieux mensonge…, risqua Charlotte, soudain pensive.
     
    Devinant que sa nièce faisait un rapprochement fallacieux entre la situation évoquée et sa liaison avec Fontsalte, M lle  Rudmeyer la rassura :
     
    – Les femmes connaissent parfaitement cette sorte de lâcheté, commune à beaucoup d’hommes. Elles savent en jouer et, quand cris et larmes ne suffisent pas, elles usent du chantage au suicide. M me  de Staël a tenté de s’étouffer en s’enfonçant un mouchoir dans la gorge et M me  Constant de s’empoisonner avec une dose… insuffisante d’opium. Imagine que les deux tentatives aient réussi, notre Benjamin eût été libre d’en épouser une troisième !
     
    – Oh ! Comment pouvez-vous plaisanter ? C’est tragique !
     
    – Non, Charlotte, c’est comique ! Aucune de ces aimables quadragénaires, ayant vécu, connaissant les hommes, n’avait envie de mourir. M me  de Staël est un grand esprit, mais c’est aussi une remarquable comédienne et la Hardenberg peut lui donner la réplique. D’ailleurs, la meilleure preuve que je ne médis pas, c’est que ces dames et le mari sont tombés d’accord pour que le mariage reste un secret entre les trois intéressés… et que M. Benjamin Constant puisse partager son temps – est-ce seulement son temps ! – entre Coppet, comme si de rien n’était, et Sécheron, où se morfond son épouse.
     
    – C’est un arrangement bien commode, estima M me  Métaz.
     
    – Commode, mais très provisoire. D’après ce que je sais, M me  Constant n’apprécie guère ce partage, obtenu, sous Dieu sait quelle menace, par Germaine. Et Benjamin ne cherche qu’à s’échapper de Coppet. Enfin, le vieux général Constant de Rebecque en a assez de toutes ces simagrées et s’apprête à rendre public le mariage de son fils avec la filleule du roi d’Angleterre. Voilà qui tranchera officiellement les liens d’une passion théâtrale que les acteurs, une femme possessive et orgueilleuse, un homme pusillanime et capon, sont incapables de dénouer eux-mêmes élégamment !
     
    Entendant sonner deux heures, M lle  Rudmeyer donna le signal de la séparation, puis elle saisit un livre abandonné sur un guéridon et le tendit à sa nièce.
     
    – Tiens, tu liras ce dernier ouvrage de M me  de Staël. C’est un très beau roman sentimental, qui se passe en Italie, pays merveilleusement décrit dans ces pages. C’est aussi l’histoire d’une certaine Corinne, poétesse de son état, qui se sacrifie noblement pour le bonheur de son amant et lui permet d’épouser une autre femme. En somme, ce que l’auteur n’a, semble-t-il, pas su faire !
     

    Quelques jours plus tard, par une chaude matinée d’août, en regagnant Vevey, Charlotte, qui conduisait elle-même son cabriolet, fit, comme elle en avait l’habitude, une halte au moulin sur la Vuachère. Elle approcha de la vieille bâtisse, cachée derrière un rideau de saules. Des traces de roues récentes et l’herbe foulée attirèrent son attention. Le chemin ne conduisant qu’au moulin, ces empreintes intriguèrent M

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