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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Saint-Père est, cette fois, bien décidé à faire front. Si je suis en route pour la France, c’est parce qu’on prête l’intention à ce bandit de Napoléon d’emmener Pie VII à Fontainebleau, pour le forcer à envoyer des bulles d’institution aux évêques français, ce qu’il ne fait plus depuis qu’en 1808 Bonaparte a nommé lui-même les chefs de diocèses. On dit même que l’usurpateur du trône de France voudrait, après avoir établi une sorte d’empire d’Occident, enlever le Saint-Siège à Rome pour le mettre à Paris, avec le Sacré Collège. D’ailleurs, il a déjà fait transporter en France, par ses gendarmes, les archives romaines et désigné un nouvel archevêque de Paris, M gr  Maury…, sans même consulter le Saint-Père ! Notre colonel m’envoie à Paris, avec deux autres sergents, pour assurer le service d’un cardinal, délégué secret du pape. Il doit rencontrer le seul prélat français qui ose encore s’opposer à l’empereur, le vicaire capitulaire de Paris, l’abbé d’Astros.
     
    – C’est une mission de confiance, et puis un voyage à Paris n’est point désagréable, estima Chantenoz.
     
    – En effet, c’est une mission disons… particulière. Mais je me sens mal à l’aise en civil. Sans notre uniforme, qui n’a pas changé depuis Jules II, sans hallebarde ni casque à houppe, nous autres Suisses, soldats du pape, redevenons de simples paysans, conclut avec bonhomie Julien Mandoz.
     
    – On ne peut cependant vous imaginer vous promenant à Paris dans un costume dessiné par Michel-Ange ! Vous ne passeriez pas inaperçu, observa Martin.
     
    – Je ne sais si j’aurai le courage de retourner dans les jardins des Tuileries, où j’ai été blessé en 92 et où mon pauvre frère a été étripé par la canaille révolutionnaire, soupira le sergent.
     
    Ce rappel du massacre des Gardes-Suisses de Louis XVI alourdit brusquement l’atmosphère autour de la table du banquet et ce fut Flora, vers qui les regards s’étaient spontanément tournés, à l’évocation de la mort tragique de son fiancé, qui rompit le silence.
     
    – Il y aura bientôt vingt ans, Julien, que cet événement a eu lieu. Qui s’en souvient à part nous ? Depuis, on a compté des milliers, des dizaines, peut-être des centaines de milliers de morts à travers l’Europe, du fait des guerres que cette révolution a engendrées. Alors, laissons les morts entre eux. Ils sont dans la paix du Seigneur et leurs bourreaux sont voués au feu éternel. Car je crois à la justice de Dieu et à…
     
    La fin de la phrase se perdit dans un murmure, Flora s’étant mise à pleurer.
     
    Chantenoz, ému par le chagrin inguérissable de Flora, quitta sa chaise et vint essuyer d’une caresse les larmes de la jeune femme. Il mit dans son geste une tendresse qui surprit cette dernière, au point qu’elle prit la main du précepteur et la pressa sur sa joue.
     
    – Merci, Martin, dit-elle simplement.
     
    Apaisée par cette manifestation inattendue d’affection, de la part d’un homme dont elle redoutait habituellement la causticité, Flora se reprit, sourit à Charlotte et leva son verre. Martin Chantenoz, qui avait regagné sa place, en fit autant.
     
    – À la belle vendange et à la vie, lança-t-il, se forçant à la gaieté.
     
    Ce soir-là, pour la première fois, le poète participa à la farandole du picoulet, entre Flora et Charlotte.
     

    Quelques jours plus tard, quand la Gazette de Lausanne annonça que l’empereur Napoléon I er avait échappé à un attentat à Schönbrunn, Flora regretta que Frédéric Staps, dix-huit ans, fils de pasteur luthérien d’Erfurt, n’eût pas réussi à planter son couteau de cuisine dans le dos de celui qu’elle nommait maintenant le chancelier de la mort.
     
    – Napoléon l’a interrogé lui-même et Staps lui a répondu très crânement qu’il voulait en effet le tuer, pour venger les malheurs de la Prusse. Comme il refusait de manifester des regrets, l’empereur l’a fait fusiller, dit Guillaume Métaz, résumant l’article qu’il venait de lire.
     
    – Voilà un homme ! s’écria Flora, parodiant avec ironie la phrase de Bonaparte à Goethe, lors de l’entrevue d’Erfurt.
     
    Sur tous ces événements, évoqués en famille lors des veillées, Charlotte possédait des informations complémentaires, recueillies lors de la dernière visite de Blaise ou contenues dans les lettres que son amant lui

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