Helvétie
s’étaient précipités avec l’approche de l’armée autrichienne, un comité avait été discrètement formé par des notables, afin d’organiser au mieux des intérêts de tous et de chacun les changements qui s’annonçaient.
Dans le même temps, une délégation avait été envoyée à Paris pour assurer l’impératrice Marie-Louise « du dévouement des habitants de Genève à son époux » ! On ne pouvait prendre moins de garanties !
D’anciens membres des Conseils du temps où Genève était une ville indépendante, MM. Lullin, Pictet, Des Arts, Gourgas, de La Rive, Turrettini, Prévost et Boin avaient repris du service dans le Comité provisoire encore à demi clandestin. Seul M. Augustin de Candolle, dont le fils, éminent botaniste, enseignait à l’université de Montpellier, avait argué de son grand âge, soixante-dix-sept ans, pour se récuser. Les mauvaises langues disaient que le premier syndic de la république d’autrefois se souciait peu de nuire à la carrière de son fils 1 , en posant comme accoucheur d’une république nouvelle.
Très sagement, les patriotes, qui se donnaient le titre de syndics provisoires, s’étaient gardé de solliciter ceux des leurs qui avaient été mêlés aux événements de l’époque révolutionnaire. Quant aux quatorze membres du Conseil provisoire, ils appartenaient tous à des familles d’une honorabilité reconnue. On y trouvait des noms familiers à tous les Genevois comme Pictet de Rochemont, Saladin de Bude, Odier-Eynard et Necker de Saussure. Ce dernier était un cousin de M me de Staël, qui venait de rentrer d’Angleterre à Paris, sans doute pour faire bénéficier le Bourbon rapatrié de ses subtils conseils !
Les « magnifiques et très-honorés Seigneurs syndics et Conseil provisoire de la Ville et République de Genève » avaient conclu leur proclamation du 31 décembre 1813 par une édifiante et prudente déclaration : « Reposons-nous sur les intentions bienfaisantes qui nous sont manifestées. Présentons-nous toujours tels que nous sommes aujourd’hui ; c’est-à-dire, comme une association d’hommes sages et paisibles, liés entre eux par des sentiments de bienveillance et de confiance réciproques, par leur attachement à tous les devoirs que la Patrie et la Religion nous imposent, et dont nos ancêtres nous ont donné un si bel exemple. »
Ce qu’ignoraient la plupart des lecteurs de ce texte, affiché le 1 er janvier 1814, c’est qu’il n’était pas celui initialement rédigé par Ami Lullin, dont le ton résolument républicain avait déplu au comte Bubna, commandant des troupes autrichiennes.
Guillaume Métaz faisait cependant confiance à ce gouvernement provisoire, dont il connaissait plusieurs membres, pour administrer la République, où l’on continuait, en attendant mieux, de rendre la justice au nom de l’empereur des Français ! Tous les Genevois n’étaient pas aussi bien disposés que Métaz à l’égard de ces aristocrates qui venaient de prendre le pouvoir sans y avoir été invités.
Certains républicains se souvenaient que l’un des membres du Comité, M. Joseph Des Arts, qui ne reconnaissait au peuple aucune prétention ni aptitude à la souveraineté, avait dit en 1795 : « Les hommes naissent et demeurent inégaux en droit […] ; l’inégalité des fortunes établit l’inégalité des droits politiques. » Étant donné l’époque où ils avaient été prononcés, de tels propos supposaient un vrai courage. La vérité n’est pas toujours bonne à dire ou à rappeler !
En quittant la ville, les premiers libérateurs autrichiens avaient emporté les canons, les boulets, la poudre, les balles de la milice genevoise, ne laissant que vingt-quatre pièces d’artillerie de médiocre qualité. Ils avaient aussi fixé le prix de leur intervention à quarante-sept mille francs, imposition que la ville devrait verser au plus tôt. Enfin, quand le 26 février les Français avaient repris l’offensive et occupé Carouge, on s’était empressé de faire disparaître les emblèmes et banderoles exprimant le bonheur des Genevois d’être, comme le répétait imprudemment M. de Candolle, « soustraits au joug du tyran de l’Europe ». Fort heureusement, tout s’était bien passé. Les Français, appelés par d’autres combats, avaient évacué Carouge le 22 mars, sans franchir l’Arve ni tirer un coup de canon.
Au printemps,
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