Helvétie
fuite. Joseph disposait en effet d’une consigne écrite de Napoléon, lui demandant « de ne jamais quitter son fils [le roi de Rome] et de le jeter plutôt dans la Seine que de l’abandonner aux mains des ennemis de la France 3 ». Marie-Louise avait opposé « une résistance violente » à cette tentative d’enlèvement puis, appelant les officiers de sa maison, elle avait réclamé la protection du comte Chouvalov, délégué près d’elle par les puissances étrangères. Dès le lendemain, l’impératrice, qui n’était plus, depuis le 11 avril, que duchesse de Parme, de Plaisance et de Guastalla, avait quitté Blois pour Orléans. Logée au palais épiscopal, elle y avait attendu le prince Esterhazy envoyé de son père l’empereur d’Autriche François I er , qui venait d’arriver à Rambouillet. Quelques jours plus tard, sans avoir rien tenté pour se rapprocher de son époux, Marie-Louise avait pris la route de Rambouillet puis, de là, le 23 avril, celle de Vienne par Dijon et Bâle. Soixante-dix personnes l’accompagnaient dans vingt voitures. Cent seize chevaux de poste étaient retenus à chaque relais. Un escadron de hussards l’escortait. Le général comte de Caffarelli, le marquis de Beausset, le baron de Méneval, secrétaire du portefeuille de l’empereur Napoléon, et le baron Corvisart, médecin de la cour, figuraient dans la suite de Marie-Louise. Cet impressionnant convoi ramenant au bercail la fille de François I er était arrivé à Schönbrunn le 24 mai.
Pour ceux qui avaient suivi Joseph Bonaparte en Suisse, la trahison de Marie-Louise était dès lors devenue patente.
Cet afflux de Bonaparte et de bonapartistes sur la rive nord du Léman irritait les Bernois. Sachant qu’ils ne pouvaient aller contre la volonté de plus en plus affirmée du tsar Alexandre I er , protecteur avoué des Suisses et qui se disait « complètement contre la violation de leur territoire et de leur neutralité et encore plus contre toute espèce de changement dans leur intérieur 4 », les partisans de l’Ancien Régime traitaient les irrécupérables Vaudois de jacobins.
Les espions de Berne et de Metternich ne manquaient pas une occasion d’attirer l’attention des Alliés sur la concentration de réfugiés français entre Genève et Lausanne. Dès leurs retrouvailles au moulin sur la Vuachère, fin avril, Blaise de Fontsalte avait mis Charlotte en garde :
– Ne faites aucune confidence à votre amie Flora car elle va certainement être à nouveau sollicitée par ceux qu’elle servait en 1800. Elle doit appartenir à la catégorie des Suisses qui vont répétant, à l’instigation de vos restaurateurs frustrés de Berne, que le canton de Vaud est en passe de devenir « le pot de chambre de la Révolution ». Alors, qu’elle se tienne en dehors de toutes les intrigues. Je serai cette fois sans pitié et Titus saura la rendre définitivement muette. Désolé de vous dire cela, mais il y va de la vie d’un certain nombre de gens honorables… dont votre serviteur !
M me Métaz transmit tel quel cet avertissement à Flora Baldini et, serrant le poing sur le manche d’un poignard imaginaire, elle ajouta, à la grande stupéfaction de son amie :
– Dans le cas où tu chercherais à nuire à Blaise ou à ses amis, Trévotte n’aurait pas à intervenir. Je te tuerais de la main que voilà !
Revenue de son étonnement, Flora sourit et prit affectueusement le bras de Charlotte :
– Je n’ai aucune intention de nuire à quiconque, Carlotta. J’ai compris que les princes qui ont battu les Français et chassé l’ogre ne pensent qu’à nous livrer aux Bernois, à nous ramener à la condition de sujets de Leurs Excellences, qui nous traite raient en serfs comme au temps des baillis ! La seule bonne chose qu’ait faite Bonaparte fut l’Acte de Médiation de 1803. Cela n’excuse en rien ses innombrables crimes, mais notre pays de Vaud lui doit liberté et indépendance. Et puis, ton Blaise, depuis le temps, j’ai fini par l’accepter tel qu’il est. Dans son genre, c’est un fidèle ! Et je respecte la fidélité. Et puis, je crois qu’il t’aime, peut-être plus que tu ne l’aimes toi, bien installée dans ta vie paisible et confortable, exempte de drames et de soucis !
Quand Charlotte rapporta cette déclaration rassurante à Blaise, elle trouva son compagnon incrédule :
– Ne lui faites pas confiance
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