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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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n’avait rien d’une forteresse. Le château actuel avait été construit, vers 1725, par l’ancêtre du colonel, Louis Guiguer, banquier de Saint-Gall, sur les ruines superposées d’une série de forts, dont le premier datait du xi e  siècle. Les quatre tours carrées, coiffées de toits d’ardoise, qui le flanquaient justifiaient qu’on nommât château ce qui, sans elles, n’eût été qu’une grande gentilhommière. Le corps de bâtiment principal, avec deux ailes en retour, était de belles proportions. L’intérieur offrait tous les agréments du confort bourgeois. Joseph fut immédiatement séduit par le cadre, la maison, la terrasse d’où l’on jouissait d’un point de vue superbe et surtout par le vaste jardin avec pièce d’eau, qui descendait en pente douce vers le Léman. Il fit aussitôt une offre d’achat qui fut acceptée. Le 27 juillet, l’ex-roi d’Espagne acquit ainsi le château de Prangins pour 95 000 francs de Suisse 5 .
     
    Avant de quitter Allaman, Joseph, grand seigneur, offrit à son hôte, M. de Sellon, deux tableaux peints sur cuivre qui ne lui avaient rien coûté parce que puisés dans les butins italien et espagnol de ses règnes : une Sainte Famille de Carlo Maratta, peintre siennois du xviii e  siècle, favori du pape Alexandre VII, et Tobie et l’Ange , d’Alonso Cano, artiste andalou du xvii e  siècle, condisciple de Velázquez, dont les vierges ornaient les cathédrales de Grenade et de Málaga.
     
    Mais, au soir du 9 juillet, tout le monde ignorait, sauf les intimes et Blaise de Fontsalte, que Joseph rencontrerait chez le colonel Guiguer l’impératrice Marie-Louise, hébergée pour quarante-huit heures à Prangins.
     
    Partie de Vienne, où elle avait laissé le roi de Rome, cette dernière se rendait à Aix-en-Savoie pour prendre les eaux, suivant en cela l’exemple de la défunte Joséphine ! Marie-Louise était accompagnée du comte Adam-Adalbert Neipperg, borgne élégant et fin causeur, qui portait un bandeau noir sur l’œil droit, comme d’autres une décoration ! Ce général, autrefois ambassadeur d’Autriche en Suède, avait incité Bernadotte à entrer en guerre contre la France et, plus récemment, avec l’assistance de Fouché, avait su convaincre Murat de trancher les liens unissant son royaume de Naples à l’Empire français.
     
    Blaise de Fontsalte, qui savait par ses agents à la cour de Vienne à quoi s’en tenir sur le personnage, unissait dans un même mépris Marie-Louise et l’homme que l’on disait déjà être son amant.
     
    Une trentaine de personnes composaient la suite de la duchesse de Parme et autres lieux : secrétaires, dames de cour, dames de la garde-robe, coiffeur, cuisiniers et marmitons, confiseur, vaguemestre, valets, femmes de chambre et sept chasseurs, que l’on nommait estafiers !
     
    Si, au cours du dîner chez le colonel Guiguer, Joseph s’était montré courtois avec sa belle-sœur, bien que celle-ci ne manifestât aucune envie réelle de rejoindre son mari à l’île d’Elbe, comme certains le lui suggéraient, la population de Lausanne et d’Ouchy avait accueilli assez fraîchement l’ex-impératrice, que les Vaudois nommaient ironiquement Marion et à qui ils lançaient parfois des « Vive Napoléon ! » qui faisaient grimacer M. Neipperg ! Les promenades en bateau ou en calèche de la duchesse de Parme laissaient les gens indifférents. Charlotte Métaz, qui la vit passer alors qu’elle revenait un après-midi du moulin sur la Vuachère, remarqua l’élégance de l’ex-impératrice. Marie-Louise portait une robe blanche sous une tunique de soie verte, un châle de cachemire, un chapeau de paille garni de dentelle et de fleurs.
     
    Le jour où il apprit que Marie-Louise était passée en France, Fontsalte parut satisfait. Il avait craint que la présence de l’ex-impératrice sur les bords du Léman n’attirât un plus grand nombre d’agents autrichiens qui, sous prétexte de mieux assurer la sécurité de la fille de François I er , auraient incité les Vaudois à se débarrasser des institutions qui rappelaient l’influence française.
     
    Car l’indépendance du canton était à nouveau menacée par les menées des Bernois. Le gouvernement de Louis XVIII, les Autrichiens, les Prussiens, plus que les Russes et les Anglais, supportaient mal de voir les Vaudois et les Argoviens, notamment, continuer à vivre sous des lois inspirées par la Révolution

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