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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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guise de lit, d’une botte de paille jetée près de son cheval. Et puis le capitaine était un homme avec qui l’on pouvait partir en guerre avec confiance.
     
    Trois mois après avoir été affecté au service de Fontsalte, Trévotte avait enfin compris la signification d’une phrase prononcée, un soir, à Dijon, par l’officier, au cours d’une conver sation avec le colonel Ribeyre. Il était question, ce jour-là, entre les deux hommes, des gens qui, en s’appropriant les biens des nobles, s’étaient promptement enrichis pendant les années de la Révolution. Ribeyre racontait comment, alors qu’il se battait en Prusse avec l’armée de la République, un parvenu de la politique s’était emparé de l’argenterie et du linge de sa famille, sous prétexte que le peuple, lui aussi, avait droit aux belles choses. « Ce butin n’a en rien amélioré sa façon de se tenir à table et au lit, d’après les confidences de celles qu’il invite à partager l’une et l’autre ! » avait commenté le colonel en riant. Et Fontsalte avait répondu : « Ce qu’ils veulent, mon cher, ce n’est pas ce que nous avons, ils l’ont pris, mais ce que nous sommes. »
     
    Cette phrase, Trévotte l’avait longtemps retournée dans sa mémoire, jusqu’au jour où il avait admis que, quoi que puisse posséder un roturier, fortune bien ou mal acquise, et même initié aux belles manières, il ne pourrait jamais le confondre avec un ci-devant aristocrate. Ce dernier, même en haillons, aurait toujours l’air d’un seigneur, l’autre, même cousu de soie et d’or, aurait toujours l’air d’un esbroufeur. « C’est peut-être ça qu’ils appellent être né ! » conclut à part lui le maréchal des logis, satisfait par cette trouvaille.
     
    Si le Bourguignon, fils de tonnelier de village engagé dans les armées de la Révolution, avait connu le passé du capitaine, il eût su qu’on pouvait aussi, au temps des rois, être noble et pauvre.
     

    Le capitaine Fontsalte, c’est ainsi qu’il se présentait ordinairement, était le dernier rejeton sans fortune d’une vieille famille forézienne. Il était né le 14 mai 1780 au château de Fontsalte, en Forez, près du Lignon à l’onde transparente, au pied d’un piton rocheux, planté tel un phare dans la plaine fleurie où s’étaient aimés, sous les saules, le berger Céladon et la bergère Astrée. Tandis que sa mère, née Marie-Adélaïde des Atheux, assistée d’une vieille servante, le mettait au monde, son père, le marquis Bertrand de Fontsalte, aide de camp de Rochambeau, lieutenant général commandant le corps expéditionnaire envoyé par Louis XVI pour aider les insurgents d’Amérique, attendait, à bord du Jason , qu’un vent favorable à l’escadre française se levât en rade de Brest.
     
    Jean-Baptiste de Vimeur, comte de Rochambeau, connaissait la hardiesse de Bertrand de Fontsalte depuis que ce dernier, jeune cornette, s’était illustré sous ses ordres à la prise de Namur en 1747. Quand le roi avait confié à Rochambeau une armée de six mille hommes pour combattre les Anglais en Amérique, le lieutenant général, qui n’ignorait rien de l’impécuniosité de son ancien camarade de combat, l’avait engagé comme aide de camp par amitié plus que par nécessité. C’est ainsi que le marquis de Fontsalte s’était vaillamment battu pour l’indépendance des colonies anglaises d’Amérique jusqu’au jour où, lors de la bataille de Yorktown, il avait été jeté à bas de son cheval, la hanche brisée par l’un des derniers boulets de Cornwallis. Rendu à jamais boiteux, le marquis était rentré en France sans argent, mais avec une foi enthousiaste dans les bienfaits de la république et de la démocratie, dont les États-Unis allaient bientôt, assurait-il, administrer la preuve à l’Europe.
     
    Ayant été l’un des premiers à recevoir l’ordre héréditaire de Cincinnatus, créé par George Washington pour récompenser les Français qui avaient combattu avec lui, le marquis claudicant était revenu, en 1783, exploiter ses maigres terres foréziennes, suivant en cela l’exemple du dictateur romain Lucius Quinctius Cincinnatus, qui labourait avec simplicité son champ entre deux victoires.
     
    En Forez, le marquis avait trouvé son château, en réalité une grosse ferme fortifiée, plus délabré que jamais, sa femme en haillons et un fils, couché comme un Jésus sur la paille, entre deux

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