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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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gouttières.
     
    Si, du fait de sa longue absence, Bertrand avait eu un doute sur la réalité de sa paternité, celui-ci eût été levé dès le moment que la marquise lui mit son fils sur les genoux. Blaise avait le regard vairon des Fontsalte. Un très curieux regard, déjà remarqué par Godefroi de Bouillon chez un Pierre de Fontsalte engagé dans la première croisade et figurant, avec ses yeux bicolores, sur une des enluminures du manuscrit de Sébastien Mamerot les Passages d’outre-mer , exécuté en 1472 pour Louis de Laval.
     
    Acceptant la pauvreté en vrai chrétien, le marquis avait inculqué à l’enfant les sentiments généreux dont tout aristocrate éclairé devait faire preuve envers le peuple, car l’heureux alliage de ses ascendances, arverne et ségusiave, le portait à la fierté ombrageuse et à l’optimisme.
     
    Dès le commencement de l’agitation révolutionnaire, celui qui avait combattu pour la liberté des colons américains imagina que les transformations sociales dont il rêvait pour la France allaient enfin se réaliser. Les nobliaux des environs, attachés à leurs menus privilèges, l’avaient bientôt surnommé le marquis sans-culotte, ce qui, si l’on eût fait seulement référence à sa garde-robe, ne manquait pas d’à-propos ! C’était aussi une façon d’ironiser sur la misère des Fontsalte et de condamner l’exaltation réformatrice, souvent utopique et parfois déplacée, du chef de maison.
     
    Par altruisme, mais aussi par détestation des prêtres – il avait un frère évêque poudré et bâfreur émigré en Angleterre – et des hobereaux outrecuidants, qui tenaient ses façons rustaudes pour empruntées aux Indiens d’Amérique, le marquis s’était fait le champion des idées les plus avancées. Déjà quand, en 1787, l’édit de Brienne, portant dissolution de l’assemblée des notables et création d’assemblées provinciales, avait été proclamé, le marquis, sollicité pour siéger à l’assemblée du département, formée de quatre représentants du clergé, sept de la noblesse, treize du tiers état, était entré en politique. Fidèle à ses convictions, Bertrand de Fontsalte avait aussitôt choisi de siéger avec le tiers état. De Montbrison à Sury-le-Comtal, les châtelains foréziens avaient considéré cette attitude comme une trahison et la marquise avait pleuré de honte pendant trois jours et trois nuits.
     
    Elle s’était calmée quand, étant donné le prestige et l’honnêteté reconnue de son époux, ce dernier avait été nommé grand bailli et sénéchal d’épée. Cela avait mis quelques pommes de terre de plus dans le chaudron familial, sans rien changer au train de maison, le bailli refusant, au contraire de certains autres, de monnayer ses interventions.
     
    Les paysans des alentours de Fontsalte paraissaient alors plus à l’aise que l’aristocrate en sabots qu’ils rencontraient, chevauchant une haridelle, sœur de la Rossinante du Quichotte, ou, quand sa monture refusait tout effort, traînant la jambe au long des chemins, suivi de chiens efflanqués comme lui ! Ses métayers, sachant n’avoir rien à redouter d’un propriétaire aussi bonhomme, lui donnaient à peine de quoi nourrir la marquise, le petit Blaise et sa sœur Laure, née dix mois après le retour d’Amérique du héros. Quant aux braconniers, que Bertrand refusait de poursuivre en justice, ils le privaient sans se gêner du gibier qui eût amélioré l’ordinaire. Faute de posséder une seule toilette présentable, la marquise ne quittait jamais le château. On murmurait au village que ses robes étaient taillées dans les derniers rideaux de sa chambre. À défaut de vin, le marquis et les siens buvaient l’eau pétillante et un peu salée de la bienfaisante source qui avait donné son nom à la famille et autour de laquelle les Romains avaient, autrefois, construit des thermes dont les vestiges, pierres, dalles et fûts de colonnes se retrouvaient, pour qui savait voir, dans l’appareil anarchique du château.
     
    Le marquis, comme Jean-Jacques Rousseau, croyait à la bonne nature des hommes, à leur instinctive attirance pour la justice et l’égalité, et même à leur perfectibilité. Du contrat social ou Principe du droit politique figurait en bonne place dans la bibliothèque de Fontsalte, près de la traduction, de 1559, par Jacques Amyot des Vies des hommes illustres de Plutarque, ainsi que l’Enquête d’Hérodote, la

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