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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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qu’un autre incident, certes très subalterne par rapport aux opérations militaires, avait augmenté la contrariété du Premier consul.
     
    Le matin même, ce dernier avait dû faire reconduire à Lausanne un groupe de Françaises caqueteuses qui, toujours prêtes à partager activement le repos des guerriers, suivaient l’état-major depuis la formation de l’armée de réserve à Dijon. Elles agitaient des écharpes tricolores et, sur le passage de leurs voitures, les Vaudois et les Valaisans se moquaient de ces va-t’en-guerre enjuponnées. Les belles, plus souvent maîtresses qu’épouses, coiffées de grands chapeaux surchargés de plumes et de rubans, portaient, sur des fourreaux de gaze, des robes audacieuses.
     
    L’absence de corsage, voulu par la mode « retour au naturel » des salons parisiens, dénudait aux trois quarts la rondeur des seins qui, redressés par une ceinture à la grecque, devenaient fruits exposés, offrande provocante. Ces toilettes, déjà vues sous les arcades du Palais-Royal, avaient été inspirées aux couturières par les modèles publiés dans le Journal des dames et des modes . Les coquettes ignoraient peut-être que ces dessins étaient l’œuvre d’un curé défroqué, Pierre de La Mésangère, dont l’érotisme, longtemps contenu, se libérait à coups de crayon, par l’invention de robes impudiques et de dessous féminins affriolants !
     
    Une supplique des expulsées, transmise par le premier aide de camp Duroc, n’avait pu fléchir Bonaparte, dont l’épouse, Joséphine, devait, sur ordre et pour le moment, rester à Paris, « au milieu des plaisirs et de la bonne compagnie », comme il le lui avait écrit le matin même.
     
    Les consignes transmises et les dames renvoyées, le Premier consul avait répété en bougonnant : « On ne doit pas emmener de femmes à la guerre ! Un soldat doit avoir ses époques… comme un chien ! »
     
    Déjà, en 1796, lors de la première campagne d’Italie, Bonaparte avait désapprouvé les suites féminines. Les femmes mettaient la zizanie dans les unités, les catins apportaient des maladies dans les casernes et les bivouacs dont certains, à l’époque, avaient été considérés comme de véritables lupanars. Aussi avait-il décrété : « Les femmes surprises à la tête de l’armée dans les quartiers généraux ou dans les cantonnements seront barbouillées de noir, promenées dans le camp et chassées hors des portes. »
     
    Pendant quelques semaines, la menace avait produit son effet, puis les ribaudes, plus audacieuses que les maîtresses attitrées, avaient reparu dans le sillage des régiments et demi-brigades.
     
    Quand l’aide de camp rapporta les propos du Premier consul, Blaise sourit. Bonaparte semblait oublier qu’en Égypte il avait, lui-même, eu pour maîtresse Pauline Fourès, l’épouse d’un lieutenant de chasseurs qui avait suivi son mari comme Suzanne Perrot le sien. C’était le temps où le général venait d’apprendre une infidélité de Joséphine et il ne se faisait guère scrupule, alors, de la tromper à son tour.
     
    Au soir de ce jour, avant d’éteindre sa chandelle, Blaise lut quelques pages d’un livre emprunté à la bibliothèque de la maison prévôtale : Lettres sur les Français , par Béat-Louis de Muralt. Ce Bernois était mort en 1749 mais ses Lettres , publiées en 1725, ne parurent nullement périmées au lecteur qui entrait à vingt ans dans le xix e  siècle. Du Français de son temps, Muralt faisait l’éternel Français et ne se trompait point.
     
    Quand il relevait dans un livre des sentences à retenir, Fontsalte les notait dans un cahier qui ne le quittait pas et qu’il appelait improprement son journal. Cette nuit-là, tandis que la petite ville, à peu près vidée des troupes, jouissait d’un semblant de calme, il recopia deux extraits du gentilhomme suisse qui s’exprimait à la fois avec franchise et relative indulgence. Tout d’abord ce paragraphe : « Sans être prévenu contre les Français, pour peu qu’on les connaisse, on s’aperçoit aisément qu’en estimant si fort l’esprit, les manières, l’extérieur, ils négligent le solide, qu’ils s’attachent à la bagatelle et que, généralement parlant, ils ne connaissent guère le prix des choses. » Et aussi cette appréciation sur les coureurs de jupons, dont Blaise se promit de faire son profit : « Ceux qui réussissent dans les entreprises sur les femmes,

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