Helvétie
« convention d’armistice passée entre les généraux en chef des armées française et impériale en Italie ». À la fin du repas de midi, au moment de passer au salon, car Charlotte Métaz avait instauré le rite du café qu’elle jugeait aristocratique, Guillaume tendit la gazette à sa femme.
– Tiens, lis, c’est peut-être bien la fin de la guerre.
La dépêche, datée de Lausanne, le 20 juin, était ainsi rédigée :
« La nouvelle de la grande bataille livrée par Bonaparte à Melas se confirme par le rapport de tous les courriers qui se sont succédé hier et aujourd’hui. Ils ont annoncé que la bataille avait duré depuis les six heures du matin jusqu’à la nuit, que les Français avaient perdu six mille hommes et les Autrichiens un beaucoup plus grand nombre. Le général Desaix a, dit-on, été tué, et la perte a été extrêmement sensible à Bonaparte. Les mêmes courriers ajoutent que, le Premier consul s’étant fort exposé dans la bataille et les soldats l’ayant prié de se retirer, il leur répondit : “Mes amis je suis un soldat comme vous”. Un chef de bataillon, expédié en courrier à Paris, nous a communiqué le bulletin suivant, imprimé au quartier général. »
Suivait le texte de la convention d’armistice signée le 16 juin, à Alessandria, par le général Berthier, pour la France, et le général Melas, pour l’Autriche. Il était décidé que l’armée française occuperait les pays compris entre la Chiesa, l’Oglio et le Pô, que les places de Tortone, Alessandria, Milan, Turin, Pizzighetone, Arona, Plaisance lui seraient remises, entre le 27 prairial et le 1 er messidor (16 et 20 juin). Que les places de Coni, Ceva, Savone et Gênes lui seraient remises entre le 1 er et le 4 messidor (20 et 23 juin).
L’article XIII retint particulièrement l’attention de Charlotte. Il stipulait notamment : « Aucun individu ne pourra être maltraité à raison des services rendus à l’armée autrichienne et de ses opinions politiques. »
– Nous pouvons donc faire savoir à Flora qu’elle peut rentrer. Elle n’a plus rien à craindre. Elle doit s’ennuyer ferme au milieu des paysans savoyards, dit M me Métaz, privée depuis un mois de la présence de son amie.
Charlotte se reprit aussi à penser au beau capitaine Fontsalte, dont elle avait raconté à Guillaume le séjour sous leur toit et l’incident qui avait obligé Flora à se réfugier en Savoie, de l’autre côté du lac. La jeune femme, pratiquant la restriction mentale, avait édulcoré le récit des événements survenus en l’absence de Guillaume et ne s’était guère étendue sur la personnalité de Blaise de Fontsalte et les péripéties nocturnes qui avaient précédé l’arrestation de Flora. À la pensée que l’officier pouvait être au nombre des six mille morts annoncés par le Bulletin helvétique , elle eut un frisson vite réprimé. Après tout, ce Français, dont elle avait goûté la distinction, la courtoisie, un peu moins l’ironie, lui avait infligé une blessure d’amour-propre qu’elle était heureusement seule à connaître. Il avait certes tenu parole et laissé la vie sauve à Flora mais n’avait pas daigné lui écrire comme promis. Même s’il avait échappé à la mort, elle estima qu’il y avait peu de chances qu’elle revît jamais l’officier. Charlotte chassa toute vision macabre ou romanesque de son esprit et se réjouit, avec son mari, d’un retour à la paix qui ne pourrait qu’être profitable aux affaires.
– L’armistice n’est pas la paix, mais il peut y conduire et il nous faut attendre un peu avant d’entreprendre quoi que ce soit. J’espère bien que l’arrêt des combats facilitera le règlement de ce que me doit l’armée de réserve pour tous les voyages que mes barques ont effectués pour elle. Jusqu’à présent, je n’ai eu qu’un acompte. Avec le butin pris aux Autrichiens et ce qu’ils ont dû voler aux Italiens, les Français vont s’habiller de neuf et certainement ramasser un peu d’or ! Demain, j’irai présenter une nouvelle fois mes factures à M. Lecorps, commandant de la place de Lausanne.
Chantenoz, qui venait d’entrer dans le salon, confirma les informations du Bulletin helvétique . Le sous-préfet de Vevey, qu’il venait de rencontrer, lui avait annoncé que Polier, préfet national du canton du Léman, demandait aux municipalités de faire connaître
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