Hergé écrivain
immédiates, imbu de lui-même au point de ne travailler que pour sa gloire personnelle. Si Calys, sur ce point, est un personnage plus directement dangereux que Tournesol (ayant prédit la fin du
monde, il reste atterré de dépit quand n’a pas lieu la collision avec le bolide qui l’aurait rendu célèbre !), il seraittout aussi erroné de négliger dans ce dernier le poids de la
folie des grandeurs.
Témoin par exemple cette reprise presque littérale (cf. L’Étoile mystérieuse , p. 11 : « Moi, Hyppolite Calys, j’ai
découvert un métal nouveau, auquel je donnerai mon
nom : le calystène », et Objectif Lune , p. 16 : « Car j’ai
inventé un produit, la tournesolite… »), où nos deux
inventeurs n’ont de cesse qu’ils n’aient marqué leur
découverte de la manière la plus fondamentale et éclatante qui soit : la nomination, comme s’ils ne travaillaient
qu’en vue de devenir onomathurges . De part et d’autre, les
ressemblances affluent : même mécanisme dérivationnel
du néologisme (suffixation du nom propre : calystène , tournesolite ) ; même prolixité des savants qui réagissent à
peine aux interventions du dehors ; même indifférence à
la perplexité de leur public ; même extériorisation histrionique du surmoi dans la danse. L’analyse onomastique
(elle s’impose, vu le plaisir néologique auquel s’adonnent
les personnages) corrobore largement ces données : même
paradigme végétal (tournesol et calice : le tout et la
partie) ; même mélange interlingual (les deux noms sont
au croisement du grec et du français) ; même solennité
boursouflée et archaïque ; même structure phonique aussi
(à l’allitération de Tryphon Tournesol correspond l’assonance à la fin d’Hyppolite Calys). Mais pour ce qui est des
relations de famille entre Calys et Tournesol l’élément
capital est peut-être le début du prénom du premier : hyppo . À le traduire du grec, on parvient à donner à Calys
une place comparable à celle, plus gauloise dans tous les
sens du mot, du chevalier François de Hadoque. Si François est le père que se rêve Archibald Haddock, Calys
serait le modèle dont Tryphon Tournesol cherche à se
débarrasser grâce à la crise qui le frappe dans Objectif
Lune .
3. Retour à L’Étoile mystérieuse
Mais c’est quand on regarde de plus près les histoires
respectives de L’Étoile mystérieuse et d’ Objectif Lune/On a
marché sur la Lune que les derniers doutes quant à la
superposition de Calys et de Tournesol doivent être levés,
tant sont abondantes, très souvent en forme de chiasme
(figure autrement forte que la simple répétition qui, elle,
peut n’engager que deux termes), les correspondances
entre ces albums.
Le noyau de L’Étoile mystérieuse ? C’est la quête de ce
métal inconnu, le calystène, dont des gisements se trouveraient dans un aérolithe tombé en pleine mer au nord du
Groenland 9 . Émergeant en partie, le débris d’astre se
laisse repérer par une colonne de fumée gigantesque, les
grandes températures du corps céleste ayant fait entrer en
ébullition les eaux de la mer.
Celui d’ Objectif Lune et d’ On a marché sur la Lune ?
L’exploration de la surface lunaire. À la différence de
l’astre de l’album précité, la Lune est une étoile éteinte
(extinction dont la couche de glace découverte par Tintin
n’est sans doute que la forme hyperbolique) et qui apparemment ne contient rien de très précieux (la substitution, dans le message transmis par Tournesol, des
« métaux précieux » à la « glace » plus roturière dit surtout
l’envie du professeur de trouver, tel son prédécesseur
Hyppolite Calys, du nouveau). De même, au lieu de se
diriger vers un astre tombé dans la mer, c’est, ici, dans unendroit situé entre trois mers 10 , que se fera l’alunissage. Et
comme il s’agit de la mer des Nuées, la mer du Nectar et
la mer des Vapeurs, leurs noms rappellent directement la
colonne de fumée de L’Étoile mystérieuse.
Similitudes encore au niveau des moyens de transport,
qui fonctionnent en poupées russes : l’hydravion transporté par le navire polaire, le char lunaire emporté dans
les soutes de la fusée. Répétition aussi à hauteur des
moyens de communication ; c’est toujours par radio que
l’on reste en contact avec la base, ce qui donne lieu à la
reprise quasi littérale, seul changeant le lexique (plus
moderne, plus technique dans
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