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Hergé écrivain

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Titel: Hergé écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Baetens
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aspect s’articule à tous ceux déjà commentés dans les chapitres précédents. Aussi la microlecture
qui suit constitue-t-elle une manière de synthèse exemplifiée du parcours analytique. Dans un chapitre ultérieur,
l’on tentera alors d’élargir la lecture à l’ensemble d’un
album ( Les Bijoux de la Castafiore ) et de faire en même
temps le point sur les apports spécifiques de la lecture.
    Admettre que les péripéties d’une histoire rondement
menée n’épuisent pas le tout du système d’Hergé, c’est postuler la présence active d’une structuration différente que
masque justement l’attention exclusive donnée au récit.
C’est poser aussi, avec Roland Barthes, la question de
l’amorce de la lecture : « par où commencer ? 4  », si l’ordre
linéaire des signes n’est plus à même de livrer la piste de lecture par excellence ? Faut-il, comme le soutenait Roland
Barthes, une « première vue d’ensemble 5  » ? Étant donné
l’importance du récit linéaire chez Hergé, il ne paraît pas
illogique de commencer, malgré tout, par le début, en
l’occurrence par cette première page de Coke en stock (que
l’on peut considérer comme une des plus fortes de toute
l’œuvre hergéenne). Non, bien sûr, pour n’y emboîter que
le pas du récit, mais afin de mettre cet incipit en rapport
avec son ailleurs (son amont, par exemple, car il s’avérera
que le début n’est pas inaugural) et, surtout, son autre (tous
les parcours non linéaires qui l’innervent).

    D’emblée, l’histoire de Coke en stock bifurque, avec sa
première case centrée sur un film qui s’achève, sur un
rideau, aussi, qui se referme. Plurielle, cette image l’est
ensuite par sa double réflexion sur le sens – comme
direction et signification.
    Mêlant fiction et réalité ou, plus exactement, puisque
tout ici est fictif, deux niveaux de sens, celui, supposé
réel, de la salle, et celui du spectacle, donné lui pour
imaginaire, la technique de l’image dans l’image ne disjoint les deux espaces que pour s’empresser d’annuler la
distance qui les sépare. La « vie » en effet, par une rencontre plus miraculeuse encore que celle stigmatisée
dans le film, se révèle identique à la fiction qu’elle surpasse presque en invraisemblance. Plus faux que le faux,
le vrai avoue tout de suite sa nature d’artefact. Certains
détails de la case initiale n’avaient d’ailleurs pas négligé
d’insinuer la proximité des deux mondes. N’y a-t-il pas
comme une amorce d’identité dans la manière dont se
trouvent mis à plat et les personnages sur l’écran lumineux et les assistants plongés dans les ténèbres, ceux-ci
traités en ombres chinoises par le faisceau lumineux qui
sculpte leurs contours, ceux-là astreints aux deux dimensions de l’image projetée ?
    D’autre part, deux trajectoires se chevauchent : au
moment où l’histoire cinématographique se termine,
celle qui l’inclut dans l’album démarre. Une simple
question de relais, alors, que le contact des deux récits ?
Que la transmission s’opère à un endroit stratégiquement surdéterminé du livre, devrait rendre attentif aux
relations que nouent ici le temps et l’espace. À mieux
regarder, l’on perçoit que ces liens ne restent pas circonscrits à la première des images, mais que l’entière succession d’un récit à l’autre s’accompagne ici d’une manière
de respécification spatiale de l’œuvre cinématographiquepar l’album qui la reprend : si la bande dessinée copie le
film, elle en précise aussi la matière. Le défilement des
images sur l’écran, que devient-il dans le livre ? Une
suite de bandes découpées en cases se lisant de gauche à
droite et de haut en bas et que rehausse sur le mode
métatextuel la localisation des histoires. Présenté dans le
coin supérieur gauche, le film appartient au genre du western  – or l’Ouest est associé traditionnellement au
côté gauche d’une surface ; dans la bande dessinée, c’est
vers l’Orient, c’est-à-dire vers la droite ou, si l’on veut,
dans le sens de la lecture, que vont se déplacer les héros
(une partie considérable de l’histoire se déroule au
Khemed, pays fictif du Proche-Orient). Leur voyage
pourtant est aussi circulaire : partis de Moulinsart, ils y
retourneront en fin d’ouvrage, et cette structure en
boucle est elle aussi présente dès le début, avec la superposition d’un alpha et d’un oméga

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