Hergé écrivain

de force qu’il
s’enrichit d’un écho iconique immédiat. Dans le coinsupérieur droit, l’affiche du cow-boy laisse observer un
Alcazar deux fois fictif, puisque associé à un acteur, ou
plutôt à l’image photographique de ce dernier. Réelle, alors,
l’occurrence du personnage en bas à droite ? Oui, mais pas
tout à fait, dans la double mesure où l’invraisemblable de la
rencontre l’assimile à un élément de fiction et où le général
paraît curieusement accoutré, plus vraiment déguisé que
tiré à quatre épingles. Le groupement régulier des signifiants d’Alcazar en fin de bande autorise alors, s’il ne
l’ordonne, à y ajouter le maillon intermédiaire du mannequin où le passage du « fictif » au « réel » trouve comme son
pivot : dans la vitrine le tenant lieu d’Alcazar perd la tête
pour que celle du général puisse se visser sur le cou de la
figure de bois. La ressemblance du comédien, du mannequin des étalages et du général Alcazar se voit corroborée
par une identité de taille (le changement de plan introduit
par l’affiche du cow-boy acquiert ainsi sa justification profonde), de place (le trio d’Alcazar se situe toujours à droite
du couple Tintin-Haddock) et, surtout, de couleur (les avatars fictifs du général ont en commun le rouge du foulard et
le vert de la chemise ou de la veste ; avec Alcazar, ce système
chromatique s’inverse en même temps qu’il pâlit, le nœud
et la chemise se faisant verts, le complet devenant rose).
     
    4. Le stock, la casse
     
    Que la fusion de l’image et de l’écrit puisse jouer de
façon minutieuse et autrement complexe, se montrera ici
à l’aide d’une analyse du titre. Coke en stock , c’est d’abord,
phoniquement, un effet de miroir : CO/…/OCK –
symétrie inverse reliant, une fois de plus, l’ouverture et la
clausule d’une séquence.
    Mais lisons mieux et interrogeons-nous sur le choix des
lettres mises en valeur : O et (C) K.
    Du point de vue visuel, la voyelle O s’insère dans le
paradigme du cercle que l’on a déjà vu informer les
images de la couverture et de la page de titre, puis les torsions temporelles de la première planche. Sous l’angle
sonore, la lettre peut se lexicaliser en ce qui, dès d’ailleurs
la couverture, se révèle l’un des motifs 13  majeurs du
volume : l’eau.
    Neutralisé pour l’oreille, K, l’ultime caractère du titre,
griffe l’œil, tant il est, structurellement, surnuméraire. Mais
pour peu que la lecture se poursuive, c’est sans tarder qu’elle
bute, à l’angle opposé de la page, sur une nouvelle occurrence, non du graphème, mais de sa résonance : CA sterman. À l’intérieur de l’album, c’est en haut d’abord, puis
également en bas, mais l’une et l’autre fois à l’emplacement
même du titre, que les CA se précipitent : ainsi la rencontre, dans la dernière case, d’Al CA zar, au trait épaissi, et
de CA ramba, dont l’exotisme apparent cache, pour l’oreille
française, une précise leçon topique : « car en bas ».
    Ces exemples l’éclairent : dans Coke en stock , le jeu des
lettres ne se fait pas souvent dans l’indifférence des lieux
ni des parcours de lecture qu’il aide à consolider. Et cette
importance du parcours ou du déplacement se retrouve
aussi à hauteur fictionnelle. Ainsi Alcazar se voit-il lié au
motif de la circulation : on le prétend « disparu de la
circulation », Haddock le traite de « projectile guidé » et
son nom même, C ar amba à l’appui, contient visiblement
le mot CAR. Le lien avec la circulation est toutefois
négatif : Alcazar est un marginal, ses apparitions provoquent des collisions, et l’on comprend dès lors que, d’un
côté, le général fraie avec des trafiquants (d’armes) et que,de l’autre, plus que du motif du car , c’est de celui,
enclenché par l’union de ce mot avec le dernier lexème du
titre, de stock-car qu’il va s’agir dans la fiction : l’épreuve
du stock-car est en effet une valable métaphore des aventures que l’album va offrir (une sorte de rallye hors du
commun où Tintin et Haddock se verront exposés aux
coups les plus bas émanant d’adversaires déloyaux au
possible ; l’image clausulaire, quant à elle, en proposera
un avatar parodique : le rallye organisé par Lampion dans
le parc de Moulinsart).
    Or, de même que le rapprochement de l’affiche du
cow-boy et de la tête de l’Alcazar en chair et os avait
arraché à