Hergé écrivain

de la plume », in Conséquences , n˚ 11, 1988.
    13 Motif qui est aussi une forme, comme l’indique bien le montage morphothématique , « Tintin dans tous ses états », réalisé par Patrice
Hamel (art. cité).
    14 Comme on le redira plus en détail vers la fin de ce livre, le travail
hergéen n’est jamais sans « reste ». On voit mal par exemple à quelle
règle textuelle pourrait bien obtempérer le couple AN (les dernières
lettres de la raison sociale du tailleur ?) que l’on observe à droite du col
d’Haddock.

 
    Chapitre 7
     
    Bianca Castafiore, une relecture
     
    L’on aimerait enfin, avant de passer à un tout autre
niveau d’analyse, revenir sur le personnage et l’album qui
sont peut-être les plus analysés de toute l’œuvre d’Hergé,
à savoir Les Bijoux de la Castafiore . Non seulement parce
que ce livre est le lieu de bien des convergences, mais aussi
parce qu’à certains égards les structures textuelles déjà
repérées autorisent à relire sous un jour nouveau cette
aventure toujours à lire.
     
    1. Un personnage très commenté
     
    Femme, la Castafiore l’est-elle peu ? Il semble plus prudent, sinon plus exact, de dire qu’elle ne l’est pas
d’emblée. Cependant, les raisons qui freinent cette émancipation sont loin d’être univoques.
    À un niveau très général, il faut certes en incriminer les
codes moraux de l’époque qui faisaient entrave à la mise
en scène d’une féminité autre que stéréotypée et caricaturale. Au nom de la protection de la jeunesse, une véritable
opération de censure faisait de la bande dessinée un
monde presque exclusivement masculin. Comme pour lesinsultes du capitaine, Hergé respectera ici les contraintes
imposées par l’édition, sans pour autant se résigner à
laisser de côté les registres ou les pistes apparemment
interdits. Il transformera les jurons de Haddock en un
chef-d’œuvre du genre, tout en s’abstenant scrupuleusement de tout terme susceptible de froisser la pudeur. Il
préférera passer par la bande les messages graveleux
qu’engendre la féminisation du rossignol milanais.
    Mais s’agissant de la chanteuse d’opéra, il y a davantage. Car si dominante, si dévorante même est, dans les Aventures de Tintin , la quête du père, que la féminité
latente de la Castafiore ne pourra vraiment s’épanouir
qu’au terme de cette très longue recherche qui s’était
ouverte avec Le Secret de La Licorne et dont les effets se
laisseront sentir jusqu’à On a marché sur la Lune 1 .
    De cette éclosion du féminin, Les Bijoux de la Castafiore constituent à n’en point douter le sommet indépassable. La retraite à Moulinsart y scelle non seulement
l’installation de la cantatrice dans la sphère privée de la
famille : avant, les rencontres se déroulaient dans les lieux
appropriés du spectacle, si elles ne se bornaient à l’indirect, à la seule écoute de l’une par les autres, par radio
interposée 2 . La visite de Bianca s’y détache aussi du fait
qu’elle est dominée par une sexualité jusque-là refoulée,
puis masquée par les multiples rebondissements de
l’aventure : la justement célèbre absence d’action dans les Bijoux facilite alors l’accès à des niveaux de sens ailleurs
moins insistants.
    Dans Les Métamorphoses de Tintin , Apostolidès a bien
démontré la préoccupation de la Castafiore pour tout ce
qui touche à son statut social, c’est-à-dire, en dernier lieu,
à la famille et au mariage 3 . Telle l’héroïne qu’elle incarne,
la Marguerite du Faust de Gounod, et à laquelle elle
s’identifie sans réserve, Bianca tente de s’arracher par ses
amants à un quotidien invivable à force de banalité.
Autour de la première, trois hommes : Siebel, le jeune et
malheureux amant ; Faust, avec qui Marguerite entretient
une relation sexuelle plus adulte ; Méphistophélès, le
meneur de jeu. Autour de la seconde, des rôles semblables
se distinguent, à cette différence près (mais elle est de
taille) que la Castafiore se destine dès le début à des personnages richissimes et diaboliques comme Sponsz et
Rastapopoulos, alors que pour Siebel-Tintin et Faust-Haddock ses sentiments sont avant tout maternels. Aussi
fera-t-elle tout son possible pour protéger ceux-ci de ceux-là, méritant ainsi de s’intégrer à la petite famille de
Moulinsart :
Comme dans Le Petit Poucet , la femme de l’ogre trahit son
époux en révélant la véritable nature du Père et