Hergé écrivain

l’anonymat le personnage décapité de la vitrine,
de même l’accumulation des CA aux extrémités droites
de la planche incite à relire l’essentiel des inscriptions linguistiques prises entre les mâchoires de cette tenaille.
    Prenons-les ici dans l’ordre de leur apparition.
THE OUT, sur l’affiche du faux Alcazar, répète certes le
mot FIN, qui s’étale sur l’écran de la première image, et
désigne obliquement la sortie vers laquelle se dirigent
Tintin et Haddock. Mais en fait ce mot compte surtout
par l’élément (final, bien sûr) qui lui est enlevé. Complété, il devient soit « outLAW », soit, et mieux puisque
réalisant une paronomase de stock , « outCAST ». Avec
RTMAKE/AILOR, eux aussi en majuscules, les règles se
précisent auxquelles obtempèrent les mots travaillés : le morcellement , qui n’empêche jamais un mouvement inverse
de recomposition (SHIrtmakeR, Tailor, où l’on notera
aussi que l’ensemble des lettres censurées – SHI/R : T –
redouble exactement, dans l’ordre requis, la première
moitié du premier mot travaillé) ; le bilinguisme ensuite
(shirtmaker –  chemisier –  et tailor –  tailleur –  sont anglais,
Alcazar –  forteresse –  et Caramba –  bigre ! – , espagnols).
Stock-car, après tout, ne fonctionnait guère autrement :d’origine américaine, le mot s’obtient ici par l’aboutement de ce que la page rend similaire, la fin d’un titre et
le début de la dernière réplique. Il serait inexact toutefois
de ne se satisfaire que de la seule recomposition. Si
RTMAK, en effet, est là, c’est pour que soient plus accentués le début et la fin du fragment vraiment produit :
RAK, palindrome phonique de CAR. Et si le T de
TAILOR tombe, donnant AILOR, c’est peut-être pour
aussi souffler à l’esprit le mot SAILOR (marin), qui
rejoint parfaitement la sphère maritime de l’O 14 .
    L’eau, très vite, apparaît ainsi comme l’élément privilégié où le rallye va se dérouler. Le stock-car, en effet, ne
se fera pas en voiture, mais à bord du Ramona , cargo non
dénué de consonances ibériques, qui donne un nouveau
sens aux recherches du professeur Tournesol. Resté à
Moulinsart, celui-ci va patiemment s’efforcer de transformer les patins à roulettes qui cassent tant de vaisselle en
patins à moteur aussi rapides et pétaradants que de vrais go-karts (mot américain qui s’utilise en Belgique pour
désigner les petites voitures du karting). L’épreuve subie
au Khemed par Tintin et Haddock trouve ainsi un contrepoint européen on ne peut plus ironique.
     
    5. Comment terminer ?
     
    Pour prometteur qu’en soit le début, ni l’ensemble, ni
même la seule conclusion de Coke en stock ne parviennent
à combler, en dépit de nombreuses réussites, l’attente du
lecteur. À se déplacer par exemple à l’autre bout du volume,l’on bute ainsi pour commencer sur des correspondances
rien moins que négligeables. À l’alpha de l’aventure renvoie
tout d’abord le motif des retrouvailles – ici non plus seulement peu attendues, mais non désirées : l’annonce de
l’arrivée de Lampion, cause de la rage du capitaine, est un
deus ex machina aussi artificiel que la collision avec Alcazar.
Les ressemblances, d’ailleurs, ne s’arrêtent pas là. Comme
Alcazar, Lampion l’importun s’avère lié au thème de la circulation (pour distraire Haddock, il a eu la brillante idée
d’organiser un rallye à Moulinsart) et se caractérise par sa
profonde incapacité de rester au second plan (« président
du Volant Club de son patelin » (p. 62), n’a-t-il pas réalisé,
dans le registre parodique qui est le sien, les ambitions présidentielles du malheureux général, exilé une fois de plus
par son rival Tapioca ?).
    S’y ajoute qu’à l’instar de l’incipit, la dernière planche
se plaît à exhiber son caractère terminal, tout en contenant les signes inverses d’un nouveau départ. Que l’on en
juge : Lampion est annoncé par un Nestor vieilli , tout
épuisé par les « gamineries » de l’enfant caché à Moulinsart au début de l’album ; du rallye en question, seule la dernière épreuve se déroule dans le parc de Moulinsart ;
écho direct du « vieil oncle » cité à propos du western
inaugural, la salve des salutations de Lampion, « vieux
frère », « vieille branche », « vieux barbu », « vieux flibustier » redouble incontestablement l’expiration de