Hergé écrivain
l’aventure ; enfin, le nom du personnage renchérit encore sur
cette mise en scène du rideau qu’Hergé s’apprête à tirer
sur son livre : au message point trop obscur du prénom –
SéraPHIN – se superpose en effet l’éclat de l’opposition
entre l’amorce nocturne du volume et sa clôture plus
lumineuse signifiée par le patronyme Lampion .
On objectera, avec raison, que, face à une telle pléthore,
l’orientation inverse, celle d’un commencement ou d’unereprise, se voit traitée en parent très pauvre. À côté de la
flèche avec le mot START, dirigée vers la gauche, on ne
trouve rien, en effet, si agitée que soit la scène, qui relance
la fiction. Pareil déséquilibre défait les liens si soigneusement tissés, à l’autre extrémité du volume, entre aurore et
crépuscule. Et cet éclatement des structures textuelles est
d’autant plus incompréhensible que des solutions même
faciles ne manquent pas de se présenter aussitôt à l’esprit.
En voici déjà deux, mais combien d’autres ne seraient
pas imaginables, qui renforcent la portée inaugurale de la
chute de Coke en stock . Au lieu d’étaler des lettres monumentales, le cartouche où se place le mot FIN aurait pu
soit être supprimé, soit recevoir des dimensions plus
modestes, plus réduites en tout cas que celles de la flèche
avec START (de la première épreuve du rallye ?).
Dans la première hypothèse, l’affichage de la FIN
aurait pu faire place à l’annonce d’une suite de l’aventure,
un peu comme dans les « albums doubles » d’Hergé, où
l’histoire montrait une heureuse indifférence à l’égard de
l’unité éditoriale du livre. Dans le second cas, le mot
START aurait pu être actualisé, non dans les étroites
limites d’un panneau minuscule, mais sur une solide banderole, par exemple, tendue entre deux poteaux. À disposer cet ensemble en arc autour du perron, Coke en stock se serait offert les moyens de donner plus de corps à
l’aspect théâtral de la dernière vignette. Car, ébahis par le
spectacle des voitures éparpillées sauvagement sur la
pelouse, les personnages descendant l’escalier rappellent
en l’inversant la position de spectateur qui leur était
dévolue dans la première image du livre : là où, à l’initiale,
ils devaient lever la tête pour voir ce qui se passe sur
l’écran, la fin les oblige à plonger le regard vers le jardin
où tout, n’est-ce pas, aurait pu recommencer.
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1 Pour plus de détails sur l’art du feuilleton, voir plus loin, le
chapitre IX sur la notion de « contrainte ».
2 Extrait d’une interview inédite citée dans Benoît Peeters, Le
Monde d’Hergé , Casterman, 1983, p. 314.
3 Témoin par exemple l’étonnant montage auquel Patrice Hamel
soumet quelques-uns des albums d’Hergé, cf. « Tintin dans tous ses
états », in Conséquences , n˚ 2, 1984, p. 35-41.
4 Roland Barthes, « Par où commencer ? », in Poétique , n˚ 1, 1970,
p. 1-8.
5 Art. cité, p. 8.
6 Pour plus de détails sur ce problème, voir l’ouvrage de Gérard
Genette, Seuils , Seuil, 1987.
7 On laisse ici de côté, car non travaillés par rapport à l’individualité des albums, la quatrième de couverture et la double page de garde
des Aventures de Tintin .
8 Le changement de taille qui survient au niveau de la page de titre,
dont l’image ne dépasse guère, en grandeur, les cases du récit
proprement dit, constitue une preuve supplémentaire de l’intrication
de l’œuvre et de ses marges.
9 L’observation de ces parcours non linéaires qui se superposent aux
structures plus simples du récit constituerait alors une voie « positive »
de l’accès au tabulaire qui marque bien la position particulière d’Hergé
par rapport à ceux qui passent directement du linéaire au tabulaire (pour reprendre le couple institutionnalisé par Fresnault-Deruelle,
lequel privilégie massivement la voie « négative », c’est-à-dire la destruction du pôle linéaire, cf. « Du linéaire au tabulaire », in Communications , n˚ 24).
10 Le point est souligné très justement par Calvelo-Hamel dans
l’article « Vues imprenables », in Conséquences , n˚ 9, 1986, p. 41-47.
11 Suivant le mécanisme de l’ effacement complémentaire défini et
illustré par Jean Ricardou dans Le Théâtre des métamorphoses , Seuil,
1982, p. 148 et suiv.
12 Jean-Claude Raillon en a fait la brillante démonstration dans son
article « Au fil
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