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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Baetens
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sont
souvent des auteurs étrangers qui se chargent le mieux de
cet aggiornamento (on doit penser ici en tout premier lieu
à Yves Chaland, auteur français de nombreux albums
« belges »). Or, pour bienveillant qu’il soit en général, ce
regard extérieur sur la Belgique tend inévitablement à
« orientaliser » le pays, pour reprendre la terminologie
d’Edward Said. Il en exagère des traits, il perpétue et
grossit des lieux communs, il correspond davantage à une
idée du pays qu’au pays lui-même. Le cas déjà mentionné
d’Yves Chaland est ici très parlant : il ne semble pas possible de faire plus belge qu’un album comme Le JeuneAlbert 9 , mais trop c’est trop. La parodie même sert
d’écran et empêche de voir ce que le texte comme les
images semblent s’acharner à exhiber : la Belgique, c’est-à-dire le pays où le quotidien s’énoncerait comme suit :
Jean-Claude est un vrai castar. Il tord des poêles à frire de ses
propres mains et il possède une collection complète de
figures Cécémel. Jean-Claude a recopié un dessin, encore
mieux que sur le livre d’histoire et il boit de l’encre comme
toi une spa gazeuse. (p. 37)
    et où les maîtres d’école infligent des peines corporelles
aux enfants pour lutter contre ce double inadmissible :
Un coup par faute d’orthographe. Deux par belgicisme.
Tournez-vous Albert. (p. 38)
    Même si l’humour de Chaland est souvent subtil, ce n’est
pas la Belgique qu’il nous montre, c’est une Belgique plus
vraie que nature et par conséquent de carton-pâte ou d’opérette, ou, plus exactement, de BD. Bref, on est entièrement
au second degré, ce qui est encore une autre façon de continuer la belgitude et sa hantise du creux et du vide…
    À l’exagération de la représentation visuelle du pays et
la restitution savoureuse (mais tout le problème est là !)
du français tel qu’on le parle en Belgique, s’ajoute un trait
dont l’importance ne peut être sous-estimée : la Belgique
dont se montre l’histoire est toujours une Belgique
d’antan, une Belgique dont on sent bien qu’elle n’existe
plus. Ce recul historique est l’effet direct de l’identification de la Belgique comme « le pays de la BD ». Comme
l’a finement perçu Benoît Peeters, un des problèmes fondamentaux de la bande dessinée, en Belgique comme en
France du reste, est d’être liée à une pratique culturelletypique de l’enfance et de l’adolescence, qui pèse sur la
production même des auteurs de la bande dessinée pour
adultes :
Même s’il leur arrive de ressembler à s’y méprendre à leurs
inspirateurs des années 50, les albums des dessinateurs
« ligne claire » réalisés dans les années 80 s’en distinguent
radicalement. Ce qui les fascine dans cette époque, c’est la
nostalgie qui s’en dégage. Si séduisante que puisse être cette
démarche, elle risque de conduire à une bande dessinée autoréférentielle, vivant de la célébration de ses propres mythes 10 .
    Puisque les auteurs, une fois devenus adultes et même travaillant pour un public d’adultes, gardent toujours le souvenir ému de leurs premières lectures, cette nostalgie teindra
leurs propres bandes dessinées, qu’ils auront par exemple
envie de situer dans… la Belgique de l’époque où ils commençaient à lire des bandes dessinées, répétant inconsciemment les images découvertes dans les albums belges de ces
années-là. Chaland, lui encore, fournit un exemple superlatif de cette veine nostalgique avec Bob Fish detectief , son
album en « marollien », le dialecte créolisé, mi-français, mi-flamand parlé à Bruxelles jusqu’au début du XX e siècle et qui
renvoie bien entendu moins à la Belgique qu’à la mythologie qui entoure les années de formation d’Hergé 11 .
    Il n’en va au fond pas autrement dans le cas d’auteurs
belges comme Schuiten et Peeters, dont la série des Cités
obscures obtempère à cette même alliance paradoxale de
redécouverte et de décalage. Oui, c’est bien Bruxelles
qu’on nous montre ici et ce sont bien les ravages de la spéculation immobilière et de l’incurie urbanistique qu’on
nous décrit sans complaisance, mais l’univers des cités
obscures reste un univers lui-même allégorique, où l’onretrouve un mélange très efficace de réalisme et d’éloignement dans le temps et l’espace. Urbicande n’est pas
Bruxelles même 12 , mais un mélange de ville Art Nouveau
dessinée par

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