Herge fils de Tintin
l’animalité,
avec laquelle il a toujours eu de grands contacts ». Quand
il dédicacera Tintin au Tibet à Bernard Heuvelmans et àsa femme, il évoquera en tout cas « l’adorable Homme des
neiges 29 ».
En septembre 1959, Fanny quitte enfin les Studios
Hergé. Désormais, elle travaille comme mannequin dans
la maison de couture Hirsch, rue Neuve – jusqu’au jour
où, lors d’un défilé, Germaine vient s’asseoir au premier
rang avec Bertje Jagueneau et commence à la fusiller du
regard. Pour éviter qu’un tel incident ne se reproduise, on
demande à la jeune femme de s’occuper des étalages.
Bientôt, Fanny renonce également à ce travail 30 .
Georges sort avec elle chaque vendredi soir. Vis-à-vis de
Germaine, son discours a changé. Il lui dit qu’il est
« parfaitement normal qu’on ait une seconde femme, que
cela a existé de tout temps… ». Il essaie de lui faire
admettre qu’il ne peut plus se passer de Fanny, mais que
ce serait une erreur de rompre leur mariage ; ils ont tant
de choses en commun. Jacqueline et Baudouin van den
Branden cherchent à persuader les trois intéressés de
trouver un modus vivendi . Et, un moment, cela semble sur
le point de se faire : Germaine comme Fanny seraient
disposées à un tel accommodement. Mais Hergé ne peut
finalement s’y résoudre : c’est trop compliqué pour lui, et
surtout cela lui apparaît comme une tricherie 31 .
Dans l’immédiat, les crises reprennent de plus belle.
Un jour, Germaine crée un scandale en plein milieu de
l’avenue Louise, apostrophant bruyamment Hergé et
Fanny, assis côte à côte dans un taxi au milieu des embouteillages. Dès qu’elle en a l’occasion, elle expose ses
doléances à qui veut les entendre. Elle se met aussi à traquer Georges et Fanny, cherchant les endroits où ils se
retrouvent : comme la jeune fille habite encore chez ses
parents, le couple est condamné aux petits hôtels de
rendez-vous. Tout cela ne convient pas du tout au tempérament d’Hergé ; littéralement, cela le rend malade. Pendant l’automne 1959, il souffre d’un ulcère duodénal. Le
3 novembre, la séparation semble imminente à un proche
comme Marcel Dehaye. Le lendemain, Hergé explique à
Germaine qu’il ne peut plus vivre de cette façon et qu’il va
s’en aller : « Dussé-je vivre dans une mansarde, cela m’est
égal. » Il n’en est bien sûr pas là, mais sans doute veut-il
lui faire sentir que le confort bourgeois et notamment leur
maison de Céroux si minutieusement aménagée ne suffiront pas à le retenir.
Le 25 novembre 1959, la dernière planche de Tintin au
Tibet est publiée dans l’hebdomadaire. Consciemment ou
inconsciemment, le dessinateur attendait ce moment
pour rendre effective la rupture.
Tintin a retrouvé Tchang, mais le yeti reste seul. Sur le
crayonné, Hergé dessine ses larmes, mais il ne les encre
pas, laissant le lecteur les imaginer. « Je n’ai pas voulu
sombrer dans le pathos, le yeti, regardant partir la caravane, a certainement du chagrin, car il va retourner à sa
solitude. » Comment ne pas penser à la séparation qui est
en train de se produire entre Georges et Germaine ? Surtout si l’on se souvient d’une autre scène, un peu plus tôt
dans l’album. Alors que Haddock et Tintin sont encordés,le capitaine perd prise ; il tomberait dans le vide si son
compagnon ne le retenait de toutes ses forces. « Pauvre
capitaine ! il ne se doute évidemment pas qu’à chaque
secousse, la corde m’entre davantage dans la chair… »
Comme Haddock lui demande s’il pourra tenir, Tintin lui
répond qu’il sent ses forces qui diminuent et le froid qui
le paralyse…
Haddock : Ce qui signifie la chute pour tous deux !… Pas
question de ça, fiston ! Vous au moins vous pouvez vous
sauver : coupez la corde, c’est la seule solution !
Tintin : Jamais !… Nous nous sauverons ensemble ou nous
périrons ensemble !
Haddock : C’est malin, ce que vous dites là !… Mieux vaut
une seule victime que deux, non ?… Coupez cette corde,
Tintin !
Tintin : Jamais ! vous m’entendez !… Jamais, je ne ferai cela !
Haddock : Eh bien, je le ferai moi-même !… Mon canif !…
Et allons-y !… Larguons les amarres 32 !
Qui est Tintin, qui est Haddock dans la réalité qu’ils sont
en train de vivre ? Hergé a-t-il espéré que Germaine trancherait elle-même le lien conjugal en acceptant de le libérer ? Il
sait maintenant qu’il
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