Herge fils de Tintin
photographique et de dessinateur. Honneur suprême : il bénéficie d’une carte de presse et d’un
libre parcours sur les chemins de fer belges. « Sa rémunération est fixée à six cents francs par mois, augmentés, le
cas échéant, de 10 % sur les ventes de ses dessins et photos
à des clients extérieurs. Par ailleurs, il est autorisé à se
constituer une clientèle privée à l’exclusion de la presse
quotidienne 2 . » La lettre d’engagement précise qu’il devra
réaliser des prises de vues, des travaux de laboratoire et des
illustrations.
Plus tard, Hergé raconta, de manière assez fantaisiste,
sur ce ton à la Jerome K. Jerome qu’il affectionnait, ses
malheurs de photographe débutant : « J’ai pris en tout etpour tout deux photos. Celle de mon chat et celle d’un
ami roulant à vélo, et personne, pas même moi, n’a jamais
pu dire quel était le cliché qui représentait le chat et quel
était celui qui devait figurer l’ami roulant à vélo 3 . » Ce
qui est certain, c’est qu’aucune photo de Georges Remi ne
fut publiée dans Le Vingtième Siècle . En revanche, il exerce
à ses débuts, en plus de son rôle de dessinateur, une fonction d’assistant-photograveur, manipulant un énorme
banc de reproduction.
Toute question religieuse mise à part, la rencontre avec
l’abbé Wallez a des allures de miracle. Hergé n’oubliera
jamais cette première marque de confiance. Ses liens ultérieurs avec le milieu du Vingtième Siècle , cette complaisance prolongée envers un monde et des idées qui ne sont
pas les siens, trouvent leur origine dans ce coup de pouce
initial. Wallez, et avec lui une certaine droite catholique,
sera éternellement celui qui lui a ouvert les portes d’une
carrière. Comme le dira Germaine Kieckens : « L’abbé a
toujours cru dans le talent de Georges. Il avait souvent
cette petite phrase : “Malin comme il est cet enfant, il se
débrouillera” 4 . »
Grâce à Norbert Wallez, Hergé, qui vient d’avoir vingt
ans, peut donc transformer sa passion du dessin en une
sorte de métier. Encore lui faut-il faire ses classes, car les
premiers travaux sont plutôt ingrats : ce sont des graphiques, des cartes didactiques, des frises décoratives, des
illustrations bouche-trous, réalisées à la va-vite dans son
minuscule bureau de l’entresol, et généralement non
signées. « Tout, je faisais absolument tout », racontera-t-ilplus tard. D’autant qu’il continue de collaborer aux publications de l’Action catholique, Le Blé qui lève et L’Effort .
Pas question de fonder une œuvre avec ces travaux à la
chaîne, mais seulement de répondre le mieux possible aux
commandes du jour, si modestes soient-elles. Il s’agit
d’abord d’apprendre à gagner sa vie, en échappant à la
tristesse de ces tâches administratives auxquelles il a goûté
au sortir du collège. L’heure n’est pas aux états d’âme. Il
faut produire, produire sans rechigner, respecter les délais
et s’acquitter honorablement de propositions généralement peu exaltantes.
Le jeudi, pour « Le coin des enfants », Hergé illustre
trois récits de son camarade René Verhaegen, un ancien
de Saint-Boniface devenu employé à la comptabilité du
journal. Paraissent successivement « Une petite araignée
voyage », « Popokabaka » et « La Rainette ». Le troisième
récit s’achèvera de manière pour le moins précipitée, par
« une explosion formidable » qui emporte tous les
personnages : le scénariste venait de se brouiller avec
l’abbé Wallez, quittant brusquement Le Vingtième Siècle .
Rien de bien marquant dans ces pauvres feuilletons.
Semaine après semaine, on retrouve le même ruban de
trois images, vaguement séquentielles, surmontant un
texte typographié qui occupe à peu près le même espace.
Hergé est plus loin de la bande dessinée que dans Les
Aventures de Totor , qu’il continue de livrer au Boy-Scout
belge .
La médiocrité de ces premiers travaux ne signifie pas
que les questions artistiques ne se posent pas pour le jeune
Hergé. Au contraire, il les aborde presque toutes. Seulement il les rencontre en chemin, l’une après l’autre, et
pour ainsi dire sous nos yeux. L’essentiel de son évolution
est manifeste, pour peu qu’on examine ses publications
dans leur ordre : la parution dans le journal, puis enalbum, les versions successives, les retouches. C’est une
œuvre dont on peut suivre la maturation semaine
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