Herge fils de Tintin
après
semaine, et bientôt livre après livre.
Il n’est que de comparer les débuts d’Hergé avec ceux
d’un jeune auteur de bande dessinée d’aujourd’hui pour
que la différence saute aux yeux. Il en est peu, à notre
époque, qui ne sortent pas d’une école d’art. Et, la plupart
des revues ayant disparu, il n’en est guère qui ne doivent
affronter d’emblée l’épreuve d’un album, et souvent d’un
projet de série. Le succès, commercial ou au moins critique, se doit d’être au rendez-vous si l’auteur ne veut pas
voir sa carrière s’interrompre prématurément. Une chose
est claire : dans des conditions comme celles-là, Georges
Remi n’aurait pas eu la moindre chance de développer son
œuvre.
C’est dans les pages littéraires dont s’occupe le pittoresque Mgr Schyrgens que le dessinateur va commencer à
donner sa mesure. Il illustre à tour de bras les auteurs les
plus divers : Léon Tolstoï, Selma Lagerlöf et Maurice
Genevoix, Bambi le chevreuil de Félix Salten, et les interminables récits guerriers de Guido Milanesi. Toutes les
occasions sont bonnes pour se former : chaque fois qu’il
le peut, il change d’instruments ou de techniques. Certaines images évoquent la gravure sur bois ; il ne la pratiqua pourtant pas, mais s’inspira de ce mode clair et efficace de répartition des noirs et des blancs.
Peut-être est-il bon de le rappeler : ce style fondé sur le
trait et l’épure que l’on nommera beaucoup plus tard la
« ligne claire » ne fut pas donné à Hergé comme une simplicité primaire et presque puérile, un code aussi naturel
qu’évident. Ce fut une véritable invention, le résultat
d’une longue pratique de la bande dessinée. Avant la création de Tintin, lorsqu’il est le dessinateur à tout faire du Vingtième Siècle , Hergé n’a pas réellement de style.
N’ayant jamais appris à dessiner, il prend son bien où il le
trouve, imitant tout et tout le monde sans souci de hiérarchie. Picasso et Benjamin Rabier, le dessinateur de mode
René Vincent et les gravures du Larousse, les affiches de
Cassandre et de Marfurt, tout l’intéresse et rien ne le
retient. Il utilise tantôt la plume et tantôt le pinceau, met
des ombres ou n’en met pas, des hachures ou des tramés,
de grands aplats ou quelques traits.
Un point commun à travers ces tentatives hétéroclites
et inégales : l’imprimé. Si bref soit-il, le passage du jeune
Georges Remi par la photogravure s’est avéré décisif, lui
imposant cette évidence : un dessin de presse est fait pour
être reproduit. Il faut donc être lisible et efficace : clair
déjà. Didier Pasamonik le nota fort justement :
La rhétorique de la simplicité qui est la sienne rejoint les procédés récents de l’imprimerie : les procédés artisanaux issus
du XIX e siècle disparaissent, ceux de la photogravure et du
traitement des plaques aux acides s’avèrent être des procédés miraculeux et simples, donc sans complexité. Le trait,
qui est la base même de la reproduction du dessin, a intérêt
à être ferme, bien défini, fermé, et clair : tout empâtement
provoquerait une tache d’encre. Pour Hergé, qui suivra de
près la vie du journal, ce style ne s’improvise pas : il s’impose 5 .
L’une des choses qui le passionnent le plus, à cette
époque, c’est le lettrage. Il dessine d’innombrables titres et
repense celui du journal, toujours avec un goût très sûr.
La lettre restera une de ses spécialités. Hergé s’intéresse
aussi à la composition des pages, et, quand on lui en laisse
la possibilité, son travail fait preuve de vraies audaces. Unjeune rédacteur avec lequel il s’est lié d’amitié, Paul
Werrie, a obtenu une page entière, le dimanche, pour évoquer les phénomènes de société. Le 11 novembre 1928,
Hergé réalise une superbe page sur la photographie, à
partir d’images de Moholy-Nagy et de Man Ray. Les
semaines suivantes, d’autres photomontages, autour du
cirque, du « chant de l’auto », du sport ou du jazz attestent par leur vigueur ce que sont ses véritables goûts.
Depuis la réorganisation des locaux du Vingtième
Siècle , Hergé a quitté le minuscule réduit dans lequel il
travaillait à ses débuts. Il dispose maintenant d’un bureau
vaste et lumineux, juste au-dessus de ceux de l’abbé
Wallez et de sa secrétaire, une jolie rousse qui ne le laisse
pas indifférent. Germaine Kieckens est entrée au Vingtième
Siècle
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